« Il faut améliorer la valorisation des haies »
Alain Fretay et Marcel Dubois, coprésidents de Collectif Bois Bocage 35, soulignent les multiples valorisations des haies et espèrent beaucoup du label Haie pour conforter la place des haies sur les exploitations.
Alain Fretay et Marcel Dubois, coprésidents de Collectif Bois Bocage 35, soulignent les multiples valorisations des haies et espèrent beaucoup du label Haie pour conforter la place des haies sur les exploitations.
L’association Collectif Bois Bocage 35 (CBB 35) a été créée en 2011, pour créer une filière bois énergie à base de bois de bocage. « Mais il y a trois quatre ans, nous avons failli arrêter, tellement la filière bois énergie était concurrencée par le bois forestier bien moins cher. Avec des coûts élevés, nous n’arrivions pas à dégager une rentabilité », raconte Alain Fretay, coprésident de l’association. CBB 35 et d’autres collectifs d’agriculteurs producteurs de bois issu du bocage se sont regroupés au sein de Coat Nerzh Breizh (fédération bretonne des filières bois énergie territoriales) et ont travaillé avec Aile (association d’initiatives locales pour l’énergie et l’environnement) sur le perfectionnement des chantiers, la qualité du bois plaquette, la diversification des débouchés et la promotion du bois local géré de façon durable. Aujourd’hui, la filière bois énergie permet de rémunérer le travail de l’éleveur pour l’entretien de ses haies (lire article ci-après).
Sur le terroir de Collectif Bois Bocage 35, avec des haies composées historiquement de châtaignier, puis de charme, noisetier, chêne, érable, frêne, plantés durant les quarante dernières années, la rotation (fréquence du chantier coupe et déchiquetage) est de tous les douze ans. Le potentiel de production est d’environ 10 tonnes de plaquettes de bois par 100 mètres de haies par rotation de douze à quinze ans. Dans les haies, il y a aussi quelques chênes et châtaigniers pour du bois d’œuvre.
Le Gaec les quatre chemins compte 15 km de haies qui ont été plantées progressivement à partir des années 80. « Cela représente un potentiel de 1500 tonnes de plaquettes à chaque chantier, tous les dix à douze ans. Nous valorisons une bonne partie du bois en autoconsommation, pour notre chaudière (75 t/an) », indique Marcel Dubois, un des associés du Gaec et coprésident de Collectif Bois Bocage 35.
Conduire le bois comme une culture
Le Gaec Fretay compte 12 km de haie. Sa chaudière autoconsomme 20 t/an de plaquettes et il vend entre 40 et 50 t/an de plaquettes. « Je suis dans une logique de production de bois. Je préfère laisser ma haie pousser davantage pour faire plus de bois à la taille suivante avec une meilleure rentabilité du chantier, plutôt que de couper trop fréquemment ma haie pour cultiver une rangée de maïs en plus », pointe Alain Fretay.
Il fait un peu de bois bûche pour lui-même et quelques clients fidèles, mais « c’est un travail pénible, le bilan énergétique et environnemental n’est pas au rendez-vous ; c’est vraiment de l’agrément, pour profiter d’un beau feu de cheminée ». La filière bois déchiqueté, par contre, valorise tout le bois. Le travail est très mécanisé. Les chaudières associées au bois plaquette sont très performantes (jusqu’à 95 % d’efficacité énergétique). « J’ai compté 3 heures de tronçonneuse, 20 minutes à assembler les branches et 40 minutes au broyage, pour faire 20 tonnes de plaquettes. Par rapport à du bois bûche, c’est deux-tiers de main d’œuvre en moins et 30 % de bois en plus », résume Alain Fretay. Leurs haies comptent aussi des arbres qui sont valorisés en bois d’œuvre, essentiellement autoconsommé.
Compter les économies permises
Pour les éleveurs, la rentabilité de la haie ne repose pas que sur le bois énergie, autoconsommé ou vendu. Il faut aussi compter les économies de paille.
Le bois plaquette peut être entièrement valorisé en litière pour aire libre. Au Gaec les quatre chemins, « nous utilisons des plaquettes mélangées à la fine de bois pour les veaux », indique Marcel Dubois. Au Gaec Fretay, « nous en utilisons pour pailler les veaux, génisses et taries, en sous-couche de la paille. J’épands ce fumier à l’automne sur les prairies de fauche », expose Alain Fretay. Une année, « j’ai essayé de mettre des plaquettes pour stabiliser un chemin de pâturage. Il a tenu un an. C’est du dépannage en attendant de refaire le chemin ».
De la fine de bois sur les logettes
À la demande de certains clients de CBB35, le bois déchiqueté est criblé. Cette opération produit un sous-produit : des particules fines. Cette fine peut s’utiliser en litière sur les logettes. C’est ce que fait le Gaec les quatre chemins. « Avant, nous utilisions 3 kg de paille broyée/VL/j. Aujourd’hui, nous mettons 1 kg de fine/VL/j sur les tapis de logette des vaches. Elle coûte entre 90 et 120 € HT la tonne, selon le coût du transport. Il y a une économie directe par rapport à la paille broyée. Avec le passage en bio, nous sommes passés de 30 à 8 ha de céréales, et la réduction de production de paille ne nous a pas gêné du coup », expose Marcel Dubois.
Un amendement pour les sols
Les petites branches sont écartées de la filière énergie : elles sont broyées et utilisées en paillage, litière ou comme amendement pour les sols. Cela correspond à un BRF (bois raméal fragmenté), qui est un broyat de jeune bois. Le BRF sert à constituer un humus qui va enrichir le sol. Les deux éleveurs l’ont déjà expérimenté. « Il vaut mieux l’épandre à l’automne car sa décomposition consomme de l’azote du sol et peut engendrer une faim d’azote pour la culture en place. Ou bien le positionner sur une légumineuse », indiquent les éleveurs.
Alain Fretay cite aussi les effets positifs de la haie sur la pousse de l’herbe. « En plein été quand l’herbe est grillée, après les 4-5 mètres d’emprise de la haie, il y a une bande de 30 à 40 mètres d’herbe qui profite de l’effet "climatisation" par la haie et qui pousse. » Elle apporte aussi des services écosystémiques : lutte contre l’érosion, maintien de la biodiversité… « C’est aussi un écran contre les dérives de produits phytosanitaires », ajoute Jacques Bernard, de Aile Bretagne. Ces co-bénéfices sont valorisés dans les Paiements pour services environnementaux (PSE).
Costie Pruilh
Le label Haie pour accéder aux PSE
Le Gaec Fretay et le Gaec les quatre chemins sont engagés dans le label Haie (lire page XX), comme d’autres agriculteurs de Collectif Bois Bocage 35 (CBB 35). Coat Nerzh Breizh (fédération bretonne des filières bois énergie territoriales) soutient le déploiement du label Haie auprès de ses adhérents. Ce label donne de bonnes pratiques de gestion de la haie - replantation, taille… - qui permettent d’améliorer la production de biomasse des arbres et arbustes. Il facilite aussi l’accès aux aides et être demandé pour accéder à des paiements pour services environnementaux (PSE).
« Les politiques ont un rôle à jouer pour soutenir le bois local, à travers des aides, des PSE, la rédaction des appels d’offres pour les chaudières des collectivités. Les haies et autres arbres ne seront plantés et bien entretenus que s’il y a un intérêt économique à le faire », insiste Alain Fretay, qui constate que de plus en plus, les appels d’offres imposent une part de bois local et issu d’une exploitation durable des arbres, avec une garantie comme le label Haie. « Une collectivité nous a contacté en vue de passer un contrat », confie-t-il.
Collectif Bois Bocage 35
L’association CBB 35 - producteurs de bois, usagers et partenaires techniques - organise les chantiers de coupe et déchiquetage avec des Cuma, stocke le bois, le revend. CBB 35 compte 40 à 50 apporteurs de bois chaque année, essentiellement des exploitations agricoles et quelques collectivités, particuliers, forestiers. Elle vend environ 5500 t/an de bois sous forme de plaquettes de bois pour des chaufferies collectives et privées, mais aussi du paillage et de la litière animale à des collectivités, agriculteurs, particuliers…
À lire et à voir
Une vidéo produite par Aile, avec le soutien du programme AgroBioHeat, met en avant le réseau de chaleur rural de la commune de La Méaugon (22) qui s’approvisionne localement avec la SCIC Bocagénèse auprès d’un groupe d’agriculteurs labellisés.
Un guide va être édité par Aile d’ici l’été pour mettre en avant la légitimité de cet agro-combustible sur le marché du bois énergie et faire un état des lieux des démarches, politiques de soutien, programmes de recherche et autres initiatives en cours dans les espaces ruraux de France et d’Europe.
Retrouver aussi le guide Bocag’Air paru en 2019 et bientôt des résultats du programme Bocag’Air 2 sur www.aile.asso.fr.
Une marge brute optimisable
La marge du bois énergie est de 6 € la tonne en moyenne. Elle peut aller de 0 à 10 € la tonne, en fonction du diamètre des branches et de l’organisation du chantier.
Dans le détail, la plaquette de bois fraîche est vendue à 46 €/t. On en retire les charges d’abattage et de rangement des branches (15 à 20 €/t), puis le coût du broyage (10 à 15 €/t), puis le transport (5 à 10 €/t) (prix de 2020, tout compris).
Bien organiser les chantiers
« Pour aller chercher les 10 € de marge, il faut optimiser les chantiers : travailler des diamètres de bois conséquents (au moins 7cm) donc laisser pousser les haies ; bien ranger les branches et qu’elles ne soient pas souillées de terre », expose Jacques Bernard, de l’association Aile. « Avec cette filière, pour une fois, la main-d’œuvre de l’agriculteur est payée pour entretenir ses haies, alors que pendant longtemps il le faisait gracieusement », souligne Alain Fretay.
Le prix de la plaquette livrée à la chaufferie va de 110 €/t pour une petite plaquette sèche standard à 130 €/t pour une plaquette criblée.
Le prix du fioul renforce l’intérêt
Si l’on substitue le fioul par du bois, il faudra 3,28 tonnes de bois pour remplacer 1 tonne de fioul, qui représente 12 MWh. Sachant que le fioul coûte 108 €/MWh (prix de janvier 2022), celui-ci nous aurait coûté près de 1300 euros. Le bois déchiqueté est à 30 €/MWh, donc cela ne nous coûte que 360 euros. Soit une économie de plus de 900 euros par tonne de fioul évitée.
« Etant donné l’inflation actuelle et l’instabilité du prix des énergies fossiles et nucléaires, autoconsommer le bois de la ferme est valable économiquement et le sera de plus en plus à l’avenir », soutient Jacques Bernard.
Plus les besoins en chaleur sont importants plus c’est rentable. « A partir de 5 tonnes équivalent pétrole (correspond à 60 MWh, soit 15 tonnes de bois plaquette à 25 % d’humidité), cela devient vraiment intéressant. Si un élevage laitier et une maison d’habitation ne suffisent pas, on peut élargir le périmètre et raccorder un atelier de transformation, une serre, un séchoir à fourrage…. »