Sunrise pour sélectionner des tournesols utilisant mieux l’eau
Les contraintes hydriques ont un impact sur la productivité du tournesol. La tolérance à la sécheresse est un thème majeur de recherche. Le projet collaboratif Sunrise s’attelle à faire du tournesol un bon consommateur d’eau.
Parmi les cultures d'été, le tournesol est déjà réputé pour être une espèce tolérante à la sécheresse. Pourtant, « même si cette plante manifeste une certaine résistance à la sécheresse, comme nous l’avions vu en 2003 quand ses rendements n’avaient pas été si mauvais en dépit de la canicule (20,7 q/ha de moyenne), elle n’est pas capable de gérer sa consommation en eau ", signale Emmanuelle Mestries, spécialiste du tournesol chez Terres Inovia. " Tant que l’eau est disponible, le tournesol l’absorbe et peut produire un développement foliaire exubérant si son début de cycle est sans contrainte hydrique, poursuit-elle. Mais s’il survient un stress hydrique ensuite, son importante surface foliaire le pénalisera car la plante transpirera beaucoup avec des pertes en eau conséquentes au détriment du remplissage des graines. » L’amélioration génétique de la productivité du tournesol sous contrainte en eau est donc le thème principal retenu pour un grand projet de recherche collaboratif, Sunrise(1).
De fait, le tournesol nécessite d’être mieux connu en ce qui concerne les gènes qui gouvernent sa consommation d’eau et sa faculté à tolérer les stress hydriques. Ce besoin est aussi orienté par le changement climatique, l'élévation des températures et l'accroissement des facteurs de risques de stress hydriques. « La résistance à la sécheresse est un peu un axe obligé de recherche. Et c’est un thème fortement rattaché aux aspects de productivité et de rendement, souligne Thierry André, responsable de la recherche en tournesol chez Soltis. Or, au vu des résultats d’essais qui ont montré des rendements dépassant les 6 tonnes par hectare en conditions optimales de production, on voit que nous sommes très loin du potentiel génétique de productivité. Le stress hydrique est le principal facteur limitant pouvant grever le rendement. »
Un projet sur huit ans associant acteurs du public et du privé
Sunrise est un projet d’une ampleur sans précédent pour le tournesol : 21 millions d’euros de budget (dont 7 millions d’euros de subventions de l'Agence nationale pour la recherche) pour une durée de huit ans. « Cette durée longue est une dimension importante pour la recherche variétale ", souligne Nicolas Langlade, coordinateur de Sunrise à l’Inra. Engagé en 2012, ce projet, qui associe partenaires publics et privés(2), a déjà livré des premiers résultats, notamment le décryptage du génome du tournesol, annoncé en juin 2016.
Sur la question de la tolérance à la sécheresse, Sunrise a fourni des résultats récents. « Nous avons identifié six régions du génome impliquées dans la tolérance à la sécheresse, mais sans pouvoir encore déterminer sur quels processus physiologiques précis elles interviennent, sauf pour une des régions dont nous savons qu’elle agit sur le maintien de la surface foliaire », précise Nicolas Langlade. « Ces résultats vont faire l’objet de validations en 2017 au travers de quelques essais de terrain, afin de déterminer quelle efficacité ont ces gènes en condition de stress hydrique », ajoute Emmanuelle Mestries.
Plusieurs types de scénarios de contraintes hydriques à l'étude
Pour Nicolas Langlade, bien quantifier la tolérance à la sécheresse est un gros enjeu. « On développe une méthodologie en ce sens pour la transférer aux sélectionneurs puis, à terme, au Geves dans le but d'évaluer des variétés à l’inscription sur le caractère de tolérance à la sécheresse. » Il existe plusieurs types de scénarios de sécheresse selon la période végétative où intervient le stress hydrique. Des travaux ont prouvé la variabilité génétique des processus de photosynthèse et de transpiration foliaire en réponse à un déficit hydrique. Des chercheurs de l’Inra ont évalué les réponses au déficit hydrique avant et après floraison de quatre génotypes (deux lignées et deux hybrides). Pour chacun, ils ont pu calculer le seuil de déficit en eau du sol à partir duquel les processus de transpiration et de photosynthèse ont été affectés. « Ces résultats contribuent à améliorer les méthodes de phénotypage du tournesol en conditions de stress hydrique et à intégrer la variabilité génétique dans les modèles de culture », informe la newsletter consacrée à Sunrise.
Les essais en situation de déficit hydrique ne se limitent pas à la France. Les pays de l’Europe de l’Est sont également de grands producteurs de tournesol et ils sont très concernés par les situations de stress hydriques et thermiques qui peuvent avoir un impact sur les cultures. Dans le cadre de Sunrise, les semenciers Caussade Semences et Maïsadour Semences ont mis en place des essais en Roumanie pour étudier les tournesols dans des conditions variées de stress hydrique et avec l’objectif d’identifier les mécanismes génétiques et moléculaires de stabilité du rendement.
De nouveaux outils mis au point avec les technologies modernes
Pour Thierry André, l’intérêt d’un projet collaboratif comme Sunrise est évident concernant la mise au point d’outils qui permettront de progresser fortement dans la compréhension des mécanismes jouant sur la tolérance aux stress hydriques. « Le séquençage du génome permet d’aller plus loin dans la connaissance des gènes, précise-t-il. Chaque fois que l’on identifie une zone du génome associée à un caractère important, nous avons plus de facilité à développer des marqueurs moléculaires pour le suivi des allèles de gènes. Et donc, nous sommes plus performants dans l’élaboration de la bonne stratégie de sélection. » Les sélectionneurs utilisent les puces à ADN mises au point dans le cadre de Sunrise et ils ont été partenaires dans la création de la plateforme de phénotypage, « un outil qu’un semencier de notre taille ne serait pas en mesure de financer seul », remarque Thierry André.
Le projet Sunrise aide également à affiner le modèle de simulation Sunflo, qui ne date pas d’hier mais est développé par l’Inra et Terres Inovia. Selon la newsletter Sunrise, ce modèle permet de caractériser les facteurs limitants d’un environnement expérimental et de modéliser le comportement du tournesol dans une large gamme de conditions agronomiques. « Nous l’utilisons sur tous nos lieux d’essais variétaux, expose Emmanuelle Mestries. Il permet d’évaluer le niveau de stress de la culture de façon quotidienne et de déterminer le nombre de jours de stress hydrique subis par les variétés avant, pendant et après la floraison. Grâce à ce modèle, nous pouvons regrouper les résultats d’essais par scénario de stress (pendant une phase précise de développement du tournesol) et ainsi nous notons les comportements de chaque variété testée face aux diverses situations de déficit hydrique. »
« D’autres outils sont en cours de mise au point, comme une petite application sur smartphone pour mesurer la surface d’une feuille à partir de photos, afin de simplifier le travail de phénotypage au champ, ajoute la spécialiste de Terres Inovia. Nous étudions également les potentialités des drones sur la mesure de peuplement des microparcelles d’essais ainsi que sur l’évaluation de la vitesse de sénescence des génotypes après floraison. Plus la sénescence progresse vite et moins le remplissage des grains se fait efficacement. » Grâce à Sunrise et ses différents acteurs, le tournesol de demain utilisera l’eau à bon escient, pour sa production de graines et d’huile.
(1) Sunflower Resources to improve yield stability in a changing environment.(2) Inra, Syngenta, Biogemma, Terres Inovia, Soltis, RAGT, Maïsadour, UPMC, Caussade.Trois stratégies d’adaptation à la sécheresse
L’utilisation de variétés précoces au cycle raccourci est une solution pour esquiver les déficits hydriques de fin de cycle qui peuvent être courants dans certaines régions. Elle peut être associée à des semis plus précoces et, dans ce cas, la variété devra montrer des caractères de tolérance au froid. Si elle réduit les risques de pertes de production dues à la sécheresse, la stratégie d’esquive restreint le potentiel de rendement de la culture.
La plante peut éviter de se déshydrater par certains processus physiologiques. Elle peut modifier son enracinement ou réduire sa transpiration pour limiter les pertes en eau. Pour cela, plusieurs moyens : la fermeture des stomates, la réduction de la croissance foliaire ou encore l’accélération de la sénescence. Cette adaptation aux conditions de sécheresse s’accompagne inévitablement d’une réduction de la photosynthèse et affecte la performance de la culture.
Une variété peut extérioriser des caractères de tolérance à la sécheresse en maintenant de bons niveaux de productivité. Elle met en œuvre différents processus physiologiques comme l’ajustement osmotique qui permet de maintenir la turgescence cellulaire (les cellules sont protégées dans leur fonctionnement). La photosynthèse reste active lors d’une diminution de la teneur en eau de la feuille. C’est ainsi que l’on imagine les tournesols à l’avenir : productifs même sous contrainte hydrique.
Un robot mesure la réaction des tournesols à la sécheresse
Le tournesol a sa plateforme de phénotypage robotisée. Nommée Heliaphen, elle se situe sur le site de l’Inra de Toulouse et elle est opérationnelle depuis 2013. Sur une surface de près de 1 000 m2, 1 300 plantes de tournesol cultivées chacune dans des pots de 15 litres sont pesées, irriguées et photographiées plusieurs fois par jour par un robot bardé de capteurs. « Grâce à des arrosages individuels, les plantes sont soumises à différents scénarios de stress hydriques. De la levée à la maturité des plantes, le robot en mesure la hauteur, le diamètre des tiges, la surface foliaire, les capitules, la sénescence des feuilles, la transpiration… », décrit Anne-Sophie Lubrano-Lavadera, chargée de projet Sunrise à l’Inra de Toulouse. La plateforme est partie intégrante des recherches pour l’amélioration de la tolérance à la sécheresse.
Une cartographie du génome obtenue en 2016
Les 4/5e du génome du tournesol sont constitués de séquences identiques de bases nucléiques constitutives de l’ADN. « Nous avons des répétitions de 7 000 à 11 000 bases sur des dizaines de milliers d’endroits du génome, ce qui est assez courant dans le monde végétal », précise Nicolas Langlade, Inra. Les gènes se retrouvent enserrés dans ces régions du génome, ce qui ne facilite pas leur décryptage. « Nous avons eu recours à une nouvelle technologie de séquençage qui est apparue en 2014, le PAC Bio RS II, et qui permet de séquencer de très longs fragments d’ADN d’un coup », explique Nicolas Langlade. Résultat : l’Inra a annoncé en juin dernier le séquençage du génome en collaboration avec le consortium international de génomique(1) du tournesol. « Nous avons la séquence (successions de bases) de tous les gènes du tournesol. Nous en avons prédit 53 000 en tout, avec leurs positionnements sur les chromosomes, chloroplastes et mitochondries. » Le tournesol compte 17 paires de chromosomes et 3,6 milliards de bases. Pour comparaison, le génome humain contient 23 paires de chromosomes pour 3 milliards de bases et « seulement » 25 000 gènes, soit deux fois moins que le tournesol.
(1) Coordination par l’Université de Colombie Britannique (Canada) et l’Inra.Des puces à ADN spécial tournesol
Le projet Sunrise est à l’origine de la mise au point de deux puces de génotypage à haut débit(1) de capacités de 50 000 et de 600 000 marqueurs SNP (single nucleotide polymorphism). Ces puces permettent de caractériser un matériel génétique de tournesol sur ses allèles et gènes en ordonnant les marqueurs les uns après les autres sur les chromosomes pour générer des cartes génétiques. Elles doivent permettre d’accélérer les programmes de sélection variétale assistée par marqueurs.
(1) De type Axiom, Affymetrix.