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Diversification
Quand la moutarde retrouve son pays d’origine

Exploitant en Bourgogne, Damien Beaumont produit chaque année une centaine d’hectares de moutarde destinée à l’industrie régionale du condiment. Bien structurée, la filière a trouvé un nouveau souffle grâce à un travail sur les variétés et à la reconnaissance d’une IGP.

La moutarde est la culture qui fournit à Damien Beaumont sa meilleure marge.
© V. Noël

La moutarde, cela fait longtemps que Damien Beaumont ne peut plus s’en passer. « Quand je me suis installé en 2003 sur la ferme de mes beaux-parents, j’ai très vite travaillé avec Pierre Coquillet, chez qui j’effectuais des heures de main-d’œuvre », explique l’agriculteur, sociétaire d’une SEP (1) de 714 hectares en Côte-d’Or. Or, Pierre Coquillet, associé de la SEP, est à l’origine de l’Association de la moutarde de Bourgogne (AMB) qui, dès les années 90, s’est attachée à relancer la culture de la crucifère dans la région (lire encadré).

La moutarde occupe aujourd’hui entre 95 et 110 hectares dans l’assolement de la SEP. « En 2007, la sucrerie d’Aiserey a fermé, précise Damien Beaumont. Nous avons augmenté les surfaces pour passer à une centaine d’hectares en 2009. » S’il le pouvait, l’agriculteur en ferait encore plus. « C’est la culture qui me fournit la meilleure marge brute, avec 1 383 euros/ha en 2018, DPB inclus, pour un rendement de 18 t/ha », indique-t-il. Mais le parcellaire de la SEP ne le lui permet pas d’aller au-delà. « Je réserve la moutarde aux terres les plus profondes, qui couvrent 60 % de notre surface, décrit-il. Soit elle alterne avec du blé et de l’orge, soit avec du blé et du soja ou du tournesol. Sur une partie de mes parcelles, elle revient tous les trois ans, je ne peux pas faire plus. »

Un coût de la semence réduit grâce à une gestion collective

Assez technique, la culture demande soin et vigilance. Avant le semis, Damien Beaumont apporte 200 kg/ha de super 45. Suivent 130 unités d’ammonitrate réparties en trois apports, entre mi-février et la montaison. Le désherbage commence en post-semis/prélevée à demi-dose pour ne pas freiner le développement de la culture puis l’agriculteur revient au stade 2-3 feuilles et termine avec un antigraminées fin décembre. Un traitement contre les altises avec un insecticide de type Karaté/Zéon a lieu au stade deux feuilles. Au printemps, l’exploitant traite contre le charançon du bourgeon terminal et les méligèthes selon les besoins. À 402 euros/ha pour 2018, les charges opérationnelles à l’hectare restent raisonnables. Comparativement à un colza, Damien Beaumont ne débourse pas plus de 20 euros/ha pour les semences. « Je sème à 1,8 kg/ha les semences que me fournit l’APGMB (Association des producteurs de graines de moutarde de Bourgogne), l’organe qui représente les producteurs au sein de l’AMB et auquel j’adhère pour 10 euros/ha, indique-t-il. Ces semences me coûtent 10 euros/kg et l’association m’en redonne gratuitement en cas de ressemis. » L’APGMB et l’AMB gèrent la livraison des semences aux producteurs mais également la multiplication et l’obtention des nouvelles variétés, travaillées avec Agrosup Dijon, l’Inra et les industriels. La répartition des surfaces et des variétés entre agriculteurs est quant à elle effectuée au niveau de la chambre d’agriculture.

La moutarde bourguignonne est une affaire collective. Sans ce travail sur les variétés mené au sein de l’AMB, la culture n’aurait probablement pas trouvé de second souffle. « Les industriels restent très attachés à Espérance, une variété ancienne que nous cultivons toujours mais qui présente des risques de gel, observe Damien Beaumont. Encore sous numéro pour certaines, d’autres variétés plus productives et plus résistantes au gel se sont développées. » Cette année, Damien Beaumont a semé 30 % d’Espérance, et deux nouvelles variétés, AZ1164 et DD1251, sur le reste de sa sole.

Un prix connu plus d’un an avant la récolte

Gérée en filière, la production de moutarde garantit un revenu sûr à la SEP. « Nous connaissons les prix de vente dès le 15 juin de l’année n-1, explique l’agriculteur. Le prix est fixé par l’APGMB qui négocie avec les industriels au sein de l’AMB. » La marge de manœuvre est toutefois limitée : le prix d’achat correspond à la moyenne du prix Matif du colza du 15 avril au 15 juin multiplié par un coefficient de l’ordre de 2, qui varie légèrement de façon à compenser la tendance haussière ou baissière de l’année. Pour 2019, la récolte sera payée 810 euros la tonne. En retour, les agriculteurs garantissent des volumes. En moyenne, la SEP livre 210 tonnes tous les ans au silo tout proche du négoce Bresson, partenaire de l’AMB. Une tolérance de 10 % existe à la hausse ou à la baisse : « dans cette limite, les industriels gardent les mêmes prix, souligne l’exploitant. Au-delà, il y a une renégociation ».

Si la moutarde a conquis Damien Beaumont depuis longtemps, certains agriculteurs résistent : « Amora, qui appartient au groupe Unilever et collecte 50 % des volumes, impose un cahier des charges 'développement durable' pointu, relève le producteur. L’audit comprend 300 questions et dure trois heures… cela rebute beaucoup de gens ! ». Certaines mesures comme la possession d’un brevet de secourisme ne sont pas toujours bien comprises. Pourtant, une bonne partie des exigences relèvent du strict cadre réglementaire, telle la présence d’un DUER (Document unique d’évaluation des risques) sur l’exploitation. Pour prendre la main sur le sujet, l’APGMB est en train de travailler sur un cahier des charges global pour la filière… « Si on veut mettre en place une filière avec une bonne rémunération, il faut un cahier des charges », analyse, lucide, Damien Beaumont. Alors autant que le projet soit partagé par tous dès le départ.

(1) Société en participation.
En chiffres

714 hectares gérés collectivement

4 exploitations gérées en assolement en commun via une SEP

714 ha dont 150 ha apportés par Damien Beaumont

284 ha de blé tendre (77 q/ha de moyenne), 102 ha de colza (38 q/ha), 95 ha de moutarde (19 q/ha), 72 ha d’orge de printemps (57 q/ha), 64 ha d’orge d’hiver (64 q/ha), 60 ha de soja (27 q/ha), 15 ha de tournesol (28 q/ha), 4 ha de miscanthus, 19 ha non exploités ou en jachère

100 ha en entreprise

Des charges de structure mutualisées dans la SEP

En net, la marge de la moutarde a atteint 753 euros sur 2018. En plus de ses 402 euros/ha de charges opérationnelles, Damien Beaumont décompte de ses 1 383 euros/ha de marge brute 380 euros/ha de charges de structure, qui correspondent au travail fourni par les deux SNC (1) montées par les associés en vue de réaliser des travaux agricoles sur la ferme et pour des tiers. Ces sociétés embauchent 1,5 UTH et rémunèrent également deux des quatre associés, dont Damien Beaumont, pour le travail qu’ils effectuent sur les fermes. L’agriculteur déduit également 150 euros/ha de fermage ainsi que 100 euros/ha de MSA, liés au revenu agricole qu’il touche des SNC.

(1) Société en nom collectif.

Une filière sous IGP qui demande à se développer

L’AMB est née dans les années 90 d’une volonté de certains fabricants de se réapproprier le savoir-faire de la moutarde en Bourgogne et d’avoir plus d’indépendance par rapport au Canada », explique Marc Désarménien, dirigeant de la moutarderie Fallot et président de l’AMB (Association de la moutarde de Bourgogne). Il faut dire qu’après la Seconde Guerre mondiale, le Canada, avec ses graines bien adaptées, a conquis durablement le marché français de la pâte de moutarde.

L’AMB réunit aujourd’hui les quatre industriels bourguignons (Amora, Fallot, l’Européenne des condiments, Reine de Dijon) et le Rémois Charbonneaux-Brabant, au côté de l’APGMB, qui regroupe environ 300 producteurs. Deux OS, Dijon Céréales et le négoce Bresson, sont également associés, ainsi que la chambre d’agriculture, l’Inra et Agrosup Dijon pour le volet sélection variétale. « À peu près 6 000 hectares de graines sont implantés dans la région, observe Marc Désarménien. Nous avons toujours un volet de recherche variétale, avec un technicien dédié mis à disposition par la chambre. Notre objectif est de croître en rendement chaque année pour avoir une certaine compétitivité par rapport au Canada. »

Un petit poucet campé sur la production de qualité

Avec une production annuelle de 2000 tonnes de pate, la moutarderie Fallot est un petit poucet sur un marché de 90 000 tonnes… Mais c’est un industriel moteur dans le développement de l’IGP (indication géographique protégée) moutarde de Bourgogne, obtenue en 2009. « Nous jouons sur le côté local et traditionnel et en 2019, nous allons avoir 92 à 95 % de notre approvisionnement en graines qui viendra de Bourgogne », souligne Marc Désarménien, qui travaille sur une IGP Moutarde de Bourgogne à l’ancienne. L’AMB a également le souhait de développer le bio. Mille tonnes de moutarde bio seraient nécessaires pour démarrer.

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