Les trucs pour tirer le meilleur profit de ses tests en parcelles
Expérimenter chez soi ne demande pas forcément un gros investissement matériel, mais un peu de réflexion pour partir sur de bonnes bases. Conseillers et experts vous donnent quelques clés pour mieux valoriser vos tests « maison ».
Prix des cultures en berne, contraintes réglementaires en forte hausse, disparition de molécules phytosanitaires… C’est peu dire que l’agriculture change et que faire « comme avant » devient difficile. Pour Mireille Navarette, chercheuse à l’Inra d’Avignon, « le développement de l’agroécologie renforce les besoins d’expérimentation. Le conseil classique qui consistait à transmettre des informations générales ne marche plus, il faut adapter les préconisations à la ferme ». Et cela passe par des essais aux champs, conduits directement par l’agriculteur sur son exploitation. Pour la chercheuse, expérimenter permet d’apprendre à faire, mais aussi d’apprendre à observer, de se rassurer, et dans les collectifs d’agriculteurs, c’est un support concret qui facilite les échanges. Qu’est-il intéressant de tester ? Avec quelles méthodes ? Le point.
« Il est crucial de s’interroger sur ce que l’on veut voir en réalisant un essai, explique Sandrine Longis, biostatisticienne du réseau Dephy Expé. Il faut un peu de rigueur, ne pas vouloir tester plein de choses en même temps, donc bien poser ses objectifs au départ .» Conseiller à la chambre d’agriculture du Tarn, Yves Ferrié accompagne différents groupes d’agriculteurs, en agriculture de conservation, en bio et en conventionnel. L’une de leurs grosses demandes concerne la gestion des couverts, notamment en période estivale. Les questions vont du choix des espèces aux techniques de destruction en passant par l’implantation. Pour le conseiller, définir des priorités est indispensable : « S’il s’agit de travailler sur la composition du couvert, par exemple, deux questions sont à se poser : comment le couvert sera-t-il détruit et quels sont ses objectifs ? À partir de là, il devient possible de lister des espèces et des techniques », explique-t-il. Tous les sujets ne méritent pas des tests à la ferme. Pour Yves Ferrié, inutile de "réinventer l'eau chaude" : « quand des comparaisons d’efficacité de produits ont été traitées à fond par des instituts, par exemple, ce n'est pas la peine d’y revenir », note-t-il.
En thèse à l’Inra d’Avignon, Maxime Catalogna travaille sur les pratiques des agriculteurs qui expérimentent seuls. Il a décortiqué leurs façons de faire sur 25 fermes. « Majoritairement, les agriculteurs mènent leurs tests sur une parcelle entière, pour plus de facilité », observe-t-il. Et ils les conduisent le plus souvent sur plusieurs parcelles à la fois. « Les comparaisons simultanées sont rares, ils font un arbitrage en fonction de l’efficacité de la conduite qu’ils testent », ajoute le doctorant. S’il est souvent absent, le témoin est néanmoins un plus. « Dans les expérimentations systèmes, je constate que les effets des changements de pratiques sont finalement moins marqués que les facteurs environnementaux, indique Sandrine Longis. Il est donc important d’avoir un système de référence pour comparer entre eux les résultats une année donnée. »
En pratique, Yves Ferrié préconise les essais en bande, dont la taille est à définir selon les objectifs. « Souvent, on se cale sur la largeur de la moissonneuse-batteuse », précise-t-il. Cependant pour éviter les effets de bord et s’assurer de récolter en pleine coupe, il faut prévoir plus large. « Il faut compter 1 ou 2 mètres en plus de chaque côté, puis faire des multiples entre la largeur du pulvé et du semoir ", expose le conseiller.
Pour Sandrine Longis, penser aux biais possibles très tôt est nécessaire. « Dans une expérimentation, il y a ce que l’on veut regarder… Et le reste, indique-t-elle. Lister les paramètres qui n’intéressent pas l’observateur mais qui sont à prendre en compte pour limiter les biais est aussi important. » Dans le cas d’un test d’une modalité d’application d’un produit type fongicide, les bandes peuvent être côte à côte… mais « avec un écart suffisant pour prendre en compte la dérive lors de la pulvérisation », souligne ainsi Yves Ferrié. Pour cette même raison, un écart entre les modalités traitées ou non est utile pour les observations en culture. "Pour le rendement, c'est moins grave", relève le conseiller.
Et pour éviter des conséquences désagréables d'un essai sur la rotation, quelques précautions sont à prendre : « S’il s’agit de tester un couvert de trèfle par exemple, avec les risques qu’il pose problème dans la culture suivante, il faut penser dès le départ à une destruction facile, souligne Yves Ferrié. Dans ce cas, le mieux est de prévoir une bande un peu plus étroite que la largeur du pulvé pour être sûr de gérer. »
Pour Sandrine Longis, les mesures en culture doivent être guidées par les objectifs de l’essai. « Il faut se demander dès le départ comment réaliser ces mesures : ce que je veux regarder est-il mesurable de façon pratique ? », interroge la spécialiste. La précision quantitative n’est pas indispensable. Une densité peut par exemple être évaluée comme moyenne, faible ou forte… Mais il faut se fixer ses propres références.
Pour Yves Ferrié, les mesures en cours de campagne sont intéressantes jusqu’à un certain point. « C’est très souvent le rendement qui compte au final ! », précise-t-il. Ces mesures servent néanmoins à éviter les conclusions hâtives. « Nous avons par exemple fait des essais avec et sans traitement de semences sur céréales à paille, se souvient le conseiller. Je suis allé voir régulièrement comment se passait la levée. Et j’ai vu qu’il y avait des dégâts de limaces », indirectement liés au traitement de semences. La fréquence des observations n’obéit à aucune règle. « Il y a des périodes où il faut passer toutes les semaines, mais ce n’est pas tout le temps », estime le conseiller. Entrer dans la parcelle est nécessaire, en se fixant une méthode de parcours, par exemple en suivant une diagonale.
Dans de nombreux cas, c'est le rendement de l'essai qui permet d'en évaluer l'intérêt. Yves Ferrié préconise des mesures physiques à la récolte : « C’est mieux de pouvoir faire une pesée de la récolte et une analyse d’un échantillon pour avoir le taux de protéines en blé, par exemple. Les cartes de rendements permettent de repérer des écarts très marqués mais ce n’est pas très fiable. C’est évidemment mieux que rien. »
Le propos revient souvent : il ne faut pas hésiter à se faire accompagner. « Cela amène plus loin, ça vaut le coup », juge Bruno Pontier, directeur de la ferme expérimentale du Legta de La Saussaye. Pour Sandrine Longis, c’est une solution pour asseoir ses résultats. « Sur un protocole un peu carré, des personnes peuvent prendre en charge le traitement des données, signale-t-elle. Les statistiques ne sont pas un résultat en soi mais c’est une mesure supplémentaire qui dit comment avoir confiance dans le résultat. » Plusieurs réseaux existent : les chambres d’agriculture, les Geda, mais aussi les réseaux type fermes Dephy ou les réseaux mixtes technologiques, qui réunissent chercheurs de l’Inra et conseillers de terrain. « C’est d’autant plus simple si la problématique que l’on se pose chez soi s’inscrit dans des enjeux territoriaux ou réglementaires plus larges », souligne Bruno Pontier.
Formaliser son itinéraire d’expérimentation
Doctorant à l’Inra d’Avignon, Maxime Catalogna a formalisé ce qu’il appelle « l’itinéraire d’expérimentation » de l’agriculteur. « Il combine plusieurs situations expérimentales vécues par l’exploitant sur plusieurs années, explique-t-il. Le formaliser avec un tiers accompagnateur permet à l’agriculteur de prendre conscience du parcours qu’il a effectué. » Pour faire ce travail, Maxime Catalogna conseille de prendre des notes de ce qui est fait sur la parcelle expérimentale. « C’est un support qui permet ensuite de voir ce qui a varié et de capitaliser sur ce que l’on connaît pour clarifier sa question et ses objectifs », précise-t-il.
Un entourage technique appelé à s’adapter
L’expérimentation à la ferme n’a pas grand-chose à voir avec les essais académiques, ce qui n’est pas toujours facile à vivre pour les conseillers. Pour Mireille Navarette, chercheuse à l’Inra d’Avignon, il y a un travail à faire pour aider les conseillers référents qui encadrent ces groupes « à tirer de la connaissance de dispositifs pas tout à fait comparables ». Il faudrait également avancer sur des indicateurs observables par les agriculteurs eux-mêmes. « De plus en plus de projets de recherche appliquée voient le jour, dans lesquels les agriculteurs participent à la conception des systèmes de cultures testés, décrit-elle. Mais le suivi est souvent effectué par les chercheurs. » C’est l’un des constats qui ressort d'une étude menée auprès de plusieurs collectifs de Rhône-Alpes et à laquelle Mireille Navarette a participé. « Il faut que nous regardions comment dégrader des indicateurs pour les rendre plus simples, utilisables en direct », conclut-elle.