Les mycorhizes n’ont pas dit leur dernier mot
La symbiose entre champignons et plantes s’invite
sur le marché des grandes cultures avec des objectifs de développement pour des produits à base de champignons mycorhiziens. Intérêt : améliorer les rendements
et la qualité de production sans ajouter d’engrais.
Des lustres que l’on nous fait miroiter les atouts des mycorhizes. S’ils ont trouvé un marché dans certaines productions végétales (maraîchage, cultures sous serres…), force est de constater que les produits à base de ces champignons symbiotiques(1) n’ont toujours pas gagné les champs de grandes cultures. Lallemand Plant Care, Premier Tech Falienor, Novozymes, Agrauxine, Biorhize, Agronutrition… plusieurs sociétés mènent des recherches et lorgnent sur ce potentiel de marché de plusieurs millions d’hectares. Certaines commencent à développer des spécialités.
En France, la société Lallemand Plant Care commercialise deux types de produits à base de mycorhizes : en purs (MYC 800) pour les couverts végétaux d’interculture, ou associés à des bactéries initiatrices de développement racinaire (Microcell et Locacell) pour les maïs, céréales et légumes d’industrie. « Ces derniers produits peuvent être utilisés sur maïs en lieu et place des engrais starter, précise Olivier Cor, responsable agronomie dans le service R&D de Lallemand Plant Care. La bactérie envoie des signaux moléculaires à la plante pour activer son développement racinaire et le champignon mycorhizien permet aux racines du maïs de coloniser un volume de sol plus important. « L’amélioration de l’assimilation de phosphore est indéniable, ce qui trouve son intérêt dans les régions où il y a des contraintes d’apport comme en Bretagne, souligne Olivier Cor. L’effet sur la vigueur au départ est un peu moins remarquable qu’avec un engrais starter mais le rendement final est du même ordre de grandeur qu’avec un engrais 18-46. On économise en engrais sans perdre en production. » Les produits Microcell et Locacell coûtent de 50 à 55 euros de l’hectare.
Développement en cours au Canada… puis en Europe
Mis en marché en 2013, ces produits font leurs premiers pas. Outre-Atlantique, un acteur québécois met les bouchés doubles pour implanter les mycorhizes : Premier Tech. « Nous avons commencé à vendre notre inoculant endomycorhizien MykePro en 2010. L’an passé, le produit a été utilisé sur 120 000 hectares au Canada dont 30 000 de blé, 15 000 de soja, 20 000 de lentille et pois, 2 500 de pomme de terre. Nous tablons sur 400 000 hectares en 2014 », affirme Claude Samson, directeur développement de marchés chez Premier Tech. La société dispose de bio-réacteurs pour produire ces spécialités qui se présentent sous forme de spores du champignon sur divers supports : poudres, granulés, pelliculage sur semence… « Les champignons endomycorhiziens sont des biotrophes obligatoires, c’est-à-dire qu’il faut un support vivant pour pouvoir les produire, comme sur des racines cultivées in vitro, explique Guillaume Bécard, professeur à l’université Paul Sabatier de Toulouse et au CNRS. Ce n’est pas facile. La société québécoise semble la plus avancée puisqu’elle arrive à atteindre une échelle de production suffisante pour alimenter le marché des grandes cultures. »
Premier Tech a racheté la société française Falienor en mars 2013 pour la création d’une filiale hexagonale, Premier Tech Falienor. Son directeur commercial, Philippe Cruypenninck affiche des ambitions sur les marchés français et européen. « Nous avons comme objectif en 2014 de développer les produits MykePro sur plusieurs milliers d’hectares de céréales à paille et plusieurs centaines en pomme de terre. Et dans cinq ans nous visons 400 000 hectares de céréales. »
« Les produits mycorhiziens répondent à la demande de l’agriculture de ‘produire plus et mieux’ sans ajouter des engrais, ajoute Philippe Cruypenninck. Les essais au Canada montrent des augmentations de rendement des blés de 10 à 12 % en moyenne avec de meilleurs PS et taux de protéines. Idem sur la pomme de terre avec + 8 % de tubercules de qualité commercialisables. » Ces résultats restent à valider dans les conditions de production française.
Des rendements et une qualité de production améliorés
Pour Claude Samson, il n’y a pas de doute : « Les biostimulants à base de champignons mycorhiziens et/ou de bactéries deviendront une nouvelle catégorie de produits incontournables pour les agriculteurs à côté des semences, des engrais et des produits phytosanitaires. » En France, la gamme MykePro est déclinée pour une application sur les semences de céréales (équivalent à 40 euros/ha) et sur les plants de pomme de terre ou dans la raie de plantation pour 130 euros/hectare.
Autre preuve des belles perspectives de développement : la société danoise Novozymes, un des leaders en la matière, a fait alliance avec Monsanto pour accroître ses moyens de recherche et développement. « Je vois cela comme une prise de conscience de l’intérêt d’utiliser des stratégies biologiques, signifie Jean Dénarié, directeur de recherches émérite à l’Inra(2). Des millions d’hectares de maïs pourraient être traités avec des LCO. » Késako ? Les LCO ou lipo-chito-oligosaccharides sont des molécules découvertes par l’équipe de Jean Dénarié il y a une vingtaine d’années. Ces LCO sont produites par les Rhizobium, bactéries symbiotiques des légumineuses. Ils sont les premiers signaux symbiotiques reconnus par la plante pour déclencher le processus de nodulation permettant la fixation de l’azote de l’air. On les appelle aussi les facteurs NOD (comme nodosité) et ils sont déjà utilisés pour le traitement de graines de légumineuses sur plus de 3 millions d’hectares, outre-Atlantique notamment.
« Le rêve était de découvrir les facteurs MYC, leurs équivalent dans le processus mycorhizien, raconte Guillaume Bécard. La découverte a été faite il y a trois ans et ce sont aussi des LCO ! »
Un brevet a été déposé et un accord de licence a été pris avec la société Novozymes pour des essais de plein champ et un développement commercial. Aux États-Unis, la société a effectivement ajouté à sa gamme JumpStart LCO, un produit d’application sur la semence combinant les LCO au champignon Penicillium bilaii qui a pour effet de dissoudre les phosphates du sol pour les rendre disponibles aux racines des plantes.
Des stimulants racinaires issus de mycorhizes
JumpStart LCO est destiné notamment à la culture du maïs. Ces LCO doivent stimuler le développement racinaire des plantes dans leurs premiers stades de développement, ainsi que leur mycorhization avec les champignons symbiotiques du sol. Un effet indirect des mycorhizes puisque cette molécule en est issue. Maintenant, cette technologie se doit d’être valorisée en Europe et cela fait partie des clauses du contrat de licence entre l’Inra et Novozymes. Ce type de produit, et les biostimulants d’une façon générale, pourraient inonder le marché dans les prochaines années. Gageons que les améliorations des récoltes seront au rendez-vousl
(1) Un seul est commercialisé : Glomus intraradices (= Rhizophagus irregularis).
(2) Laboratoire de recherche en sciences végétales (LRSV), Castanet-Tolosan près de Toulouse.