Les analyses de terre en non labour questionnent
Un gradient d’éléments dans le sol, en particulier en phosphore, peut se former lorsque les terres ne sont pas labourer pendant plusieurs années consécutives. Connu, le phénomène est difficile à évaluer et complexe à intégrer dans les analyses de terre.
35 % des terres cultivées ne seraient plus labourées, et 2 % seraient semées en direct. Ces chiffres, qui n’ont pas été réactualisés depuis le recensement de 2010, sont probablement plus élevés aujourd’hui. Ils témoignent en tout cas d'un changement de pratique qui n’est pas sans poser question en matière d’analyses de terre. « La littérature montre une augmentation significative de la teneur de la couche de surface en carbone, phosphore et potassium en techniques culturales simplifiées par rapport au non labour », rappelaient en novembre 2015 les auteurs d’une étude réalisée dans le cadre du Gemas (Groupement d'études méthodologiques et d'analyses des sols) relative aux conséquences d’une absence de labour sur les prélèvements de terre pour les analyses de sol. L’un des effets les plus significatifs concerne le phosphore, dont les concentrations augmentent dans les cinq premiers centimètres en cas de non labour prolongé. Peu mobile, cet élément est surtout apporté par la fertilisation. En l’absence de labour, il reste en surface.
Les cas où le gradient de surface modifie le conseil sont limités
Que les terres soient ou non labourées, les méthodes de prélèvement et les normes d’interprétation des résultats d’analyses de terre ne sont pas aujourd'hui officiellement différenciées. « Toutes les normes utilisées dans les laboratoires ont été établies sur des essais de longue durée en labour, qui se sont arrêtés dans les années 90 », rappelle Bernard Verbeque, responsable du laboratoire d’analyses de sol de la chambre d’agriculture du Loiret. Depuis, ces essais coûteux se sont progressivement réduits. Et aucun travail d'envergure nationale n’a été mené dans la durée sur les sols en non labour. Pour pallier ce manque, le Gemas a donc conduit en 2015 une étude sur 64 parcelles en non labour depuis trois ans ou plus. L’objectif : comprendre si, malgré l’apparition du gradient, il est possible de continuer de faire un prélèvement de terre unique de 0 à 20 cm, méthode classique, ou bien s’il faut deux prélèvements distincts, de 0 à 10 cm et de 10 à 20 cm. Comparaisons entre les deux stratégies faites, « seulement une minorité de parcelles ont une différence de conseil supérieure à 10 kg/ha» en phosphore et en potassium, signalent les auteurs de l’étude dans leur synthèse. Il faut que la répartition des éléments en strate soit significative, ce qui ne survient que dans certaines conditions (voir encadré). Les auteurs ajoutent tout de même que lorsqu’elles existent, « ces différences peuvent être importantes surtout pour les cultures d’exigence forte », telles que la betterave, par exemple. « On n’a pas de réponse facile, confirme Bruno Felix-Faure, responsable agronomie du laboratoire Galys. Le gradient peut aller du simple au double. »
Les conséquences du phénomène sur les plantes sont très difficiles à évaluer. « La question est de savoir si du phosphore concentré en surface permet d’alimenter correctement les plantes, observe Bernard Verbeque. Dans les cinq premiers centimètres, le sol sèche, or il faut de l’eau pour dissoudre le phosphore et pour qu’il aille vers les racines. » Pour les équipes d’Arvalis, cette accumulation en surface pourrait néanmoins être positive, du fait de l’activité microbienne et de l’absence de mélange avec la terre fine qui réduit le risque de voir le phosphore se fixer aux colloïdes du sol. Mais les expérimentations font défaut pour conclure. Pour Bruno Felix-Faure, tout va dépendre des cultures et de la disponibilité en eau. En colza, une situation de sécheresse en début de cycle, au moment où la plante est la plus sensible, peut être nuisible s’il y a un gradient fort en surface. Pour d’autres cultures, les risques surviendront plus tard : « on peut avoir des carences en potasse sur des maïs lorsque le sol est très sec, que les racines de la plante plongent et tombent sur une zone très appauvrie », souligne-t-il par exemple.
Le prélèvement sur 0 à 20 cm reste la norme
Compte tenu des nombreuses incertitudes et du manque de connaissances, les laboratoires préfèrent faire simple. « Dans les situations avec stratification, nous conservons la profondeur de prélèvement historique, indique Matthieu Valé, chez Auréa, soit au moins 15 cm, si ce n’est 20, pour avoir une idée de la fertilité de la zone explorée par les racines. Il y a très probablement des phénomènes de compensation qui se mettent en place en non labour, mais on ne peut pas étayer. » Même stratégie à la chambre d’agriculture du Loiret ou chez Galys : «On conseille le prélèvement de 0 à 20 cm, précise Bruno Félix-Faure. On serait sinon sur un prix deux fois plus élevé. » Chez Auréa, Matthieu Valé est par ailleurs très clair sur les capacités d’analyse en laboratoire : « Nous ne pouvons pas fournir un rapport qui intègre les résultats de deux prélèvements (0 à 10 et 10 à 20, par exemple). Nous n’avons pas de système intelligent qui permettent de concaténer les conseils. Et nous ne disposons pas de références suffisantes. » Pour Bernard Verbeque, les risques d’erreur dans le conseil demeurent toutefois limités : « Les analyses en P comme en K ne sont pas très fines. À 10 kg/ha de plus ou de moins, nous ne sommes pas sur un conseil hyper précis. Et de toute façon, il y a un effet tampon." Autrement dit, les apports ne sont pas valorisés immédiatement par la plante : ils servent à réalimenter le stock du sol, en particulier dans les situations où le sol est bien pourvu. Et des réajustements sont possibles d'une année à l'autre.
Des laboratoires qui cherchent à mieux intégrer les nouvelles pratiques
L’intégration des nouvelles pratiques comme le non labour questionne fortement les laboratoires d’analyses de sol. Ils trouvent aujourd'hui leurs limites sur un certain nombre de points mais ne comptent pas en rester là. Au nombre des évolutions à venir, Auréa envisage par exemple de mieux prendre en compte l’état structural des sols. « Les données physico-chimiques du sol donnent un niveau de référence mais d’autres démarches peuvent les compléter, estime Matthieu Valé. Il existe actuellement des méthodes standardisées, mais elles ne sont pas forcément compatibles avec des grands volumes. » Or le laboratoire travaille aujourd'hui à faire sauter ce type de barrière. Le sujet dépasse la question du non labour. « Il y a par exemple un programme de recherche en cours de montage au sein du Comifer, précise Matthieu Valé. L’idée serait d’intégrer dans les calculs les couverts, qui recyclent peut-être des éléments, ce qui modifierait la façon dont ils sont remobilisés par la plante. » La façon de penser les analyses de terre est appelée à évoluer dans les années à venir.
Risque de stratification : les bonnes questions à se poser
Même si les éventuelles corrections à mettre en place restent un peu floues, il peut être intéressant de savoir si oui ou non, une parcelle en non labour présente un risque de stratification des éléments. Dans le cadre du travail mené en 2015 par le Gemas, un arbre de décision a été élaboré. Il repose sur trois questionnements principaux :
- La teneur des dernières analyses était-elle supérieure au seuil d’impasse, à partir duquel il est possible de se passer d’une fumure ? Si non, le sol est donc relativement pauvre en phosphore. Un éventuel gradient se formera plus rapidement qu’en sol riche.
- Depuis combien de temps avez-vous abandonné le labour sur la parcelle ? Il faut au moins cinq ans de non labour en sol pauvre pour voir apparaître un gradient et dix ans en sol riche.
- Avez-vous fertilisé au moins trois fois sur les cinq dernières années pour entretenir la parcelle en fumure de fond ? Le gradient n’apparaîtra que si la réponse est positive. Il sera plus probable (mais pas certain) dans le cas où l'apport a été effectué sous forme d'un amendement organique plutôt qu’une fertilisation minérale.