Le rôle de maire dans les petites communes évolue
Maître de conférences en sciences politiques à l’université de Picardie Jules-Verne, Sébastien Vignon (1) décrypte les changements survenus dans sa région, où les maires agriculteurs sont nombreux.
Comment a évolué la part des agriculteurs maires en Picardie ?
Si on s’attarde sur la fonction de maire, le poids des agriculteurs a été divisé par deux depuis les municipales de 1965. En 2014, ils étaient donc deux fois moins nombreux qu’en 1965 (2). Mais ils restent six fois plus nombreux que leur poids réel dans la population active qui, lui, a décliné bien plus fortement sur la même période. Là où ils résistent, c’est dans les territoires les plus éloignés des villes. La population est moins mobile, les candidatures manquent.
Sur quels types d’arguments sont-ils élus ?
Dans de nombreux cas, il ne suffit plus aujourd’hui d’être ancré dans le village, d’y avoir grandi, de rendre service. Ces ressources ont tendance à se démonétiser. Si l’agriculteur gère sa commune en bon père de famille, il risque d’être vite concurrencé par des figures d’élus qui montent des projets, qui répondent aux besoins des nouveaux habitants, souvent actifs, avec des enfants. Ces néoruraux ont quitté la ville pour devenir propriétaires, mais ils ne sont pas prêts à renoncer à tout ce qui faisait leur quotidien.
Que change le développement des communautés de communes ?
Au niveau de la commune, si un opposant cherche à contrer le maire, celui-ci pourra toujours s’appuyer sur son secrétaire de mairie qui connaît les dossiers. Il est en position dominante. Ce n’est pas le cas au niveau de la communauté de communes. Tout le monde ne partage pas les mêmes intérêts, les assemblées sont nombreuses, les vice-présidents sont épaulés par des chargés de mission qui connaissent très bien leurs sujets, les élus reçoivent des dossiers épais pas forcément faciles à décrypter. Prendre la parole a un coût, il faut se mettre debout, parler dans le micro… ce n’est pas simple. Du fait de ces contraintes, des maires de communes de tailles voisines avec des ressources fiscales quasiment identiques peuvent avoir des rapports très différents à l’intercommunalité. Moins habitués que d’autres catégories socioprofessionnelles à ces milieux, les agriculteurs peuvent se sentir dépossédés de leurs pouvoirs.
Comment les producteurs de grandes cultures se situent-ils ?
C’est un groupe assez hétérogène. Les jeunes agriculteurs sont souvent les mieux formés. Parmi les moins diplômés et les plus anciens, il y a deux grandes tendances : ceux qui misent vraiment sur l’ancrage local et ceux qui se sont formés via le syndicalisme agricole. Ils se sont souvent surinvestis dans les organisations professionnelles et, malgré leur déficit de ressources culturelles, ils s’adaptent aux nouvelles règles du jeu. Ce qui est certain, c’est que dans ces instances qui vont encore s’agrandir avec les fusions de communautés de communes, garder le lien avec les citoyens ne sera pas facile.
(1) Sébastien Vignon est auteur de la thèse " Des maires en campagne : les logiques de (re)construction d'un rôle politique spécifique " soutenue en 2009.
(2) La Picardie compte 2291 communes, 13 900 exploitations agricoles et 29 000 actifs dans l'agriculture.
Voir aussi article " Près de 14 % des maires français sont des agriculteurs ".