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Sols
La rhizosphère dévoile ses secrets

L’environnement racinaire des cultures est le siège d’une activité intense dans le sol. Bactéries et champignons sont en interaction avec la plante et celle-ci peut orienter ces communautés pour en tirer le meilleur parti pour sa nutrition et sa protection. Exemples.

Les racines occupent un volume du sol de l'ordre du pourcent. Les mycorhizes augmentent de 40 fois à 1000 fois la capacité d'exploration du sol.
© C. Gloria

La plante est tout sauf passive. Elle modifie son environnement sur le plan physique, chimique et biologique et cela se passe au sein de la rhizosphère, c’est-à-dire à proximité immédiate des racines. « Aux alentours de 10 % des composés carbonés que la plante produit par photosynthèse sont libérés par les racines dans le sol. Cette proportion peut atteindre 30 % », informe Philippe Hinsinger, chercheur à l’Inra de Montpellier. Ces exsudats racinaires stimulent l’activité des microorganismes du sol et la plante en tire profit.

Parmi les éléments nutritifs, le phosphore est soumis à lui seul à plusieurs actions qui se déroulent dans la rhizosphère et qui le rendent disponible pour la plante. Bien que très présent dans le sol, cet élément n’est pas accessible pour une bonne proportion par les plantes. « Dans les sols de grandes cultures, entre 20 et 40 % du phosphore est stocké sous forme organique (60 à 80 % sous une prairie). Pour y avoir accès, il faut que se produise une minéralisation que des bactéries sont capables d’accomplir grâce à des enzymes, les phosphatases, explique Philippe Hinsinger. Or la plante est capable de stimuler l’activité de ces microorganismes à proximité de la racine pour augmenter la quantité de phosphore disponible. » Le végétal peut lui-même produire ces phosphatases au niveau de ses racines, mais avec une efficacité moins importante que celle des bactéries. Les exsudats racinaires favorisent également le développement de champignons, tels ceux pouvant former des mycorhizes (voir plus loin) pour augmenter l’exploration du sol par les racines et l’absorption d’éléments nutritifs tels le phosphore.

« Avec les perspectives peu reluisantes sur les réserves de phosphates dans le monde qui pourraient être épuisées dans quelques dizaines d’années, les organismes du sol revêtent une importance accrue dans la mobilisation du phosphore pour nourrir la plante », souligne Daniel Wipf, à l’Inra de Dijon.

Des défenses mises en œuvre contre les bioagresseurs

Les racines sont en mesure d’orienter les communautés qui leur sont associées par des stimuli moléculaires : soit pour améliorer la nutrition des plantes, soit pour les protéger, avec par exemple le groupe des bactéries PGPR (plant growth promoting rhizobacteria). Sur le fer, un oligoélément utile à la plante, il y a une véritable compétition entre les microorganismes. Stimulées par les exsudats racinaires, des bactéries de la rhizosphère sont capables de libérer dans le milieu des complexants du fer (sidérophores). Elles rendent ainsi l’élément disponible pour elles-mêmes mais pas pour les autres microorganismes sur lesquelles elles prennent le dessus, y compris lorsqu’ils sont pathogènes. Outre ce contrôle indirect des pathogènes telluriques, les bactéries produisent des antibiotiques à proximité des racines, altérant leur virulence.

Les racines sont touchées aussi par des ravageurs. La plante peut réagir à ces attaques au sein de la rhizosphère. « Les racines sont capables de sécréter des molécules volatiles capables de diffuser à grande distance dans le sol. Des études américaines ont montré que c’était le cas chez le maïs suite à des attaques par des larves de certaines espèces d’insectes, rapporte Philippe Hinsinger. Les molécules gazeuses produites sont perçues par des nématodes entomophages qui se rapprochent des racines pour venir consommer les larves. » On pourrait parler d’une forme de communication de la plante vers ses alliés nématodes. Philippe Hinsinger le perçoit ainsi et apporte d’autres exemples. « Les légumineuses envoient ainsi des signaux moléculaires aux bactéries symbiotiques pour la formation de nodosités où pourra se faire la fixation de l’azote atmosphérique. Induits par les végétaux, des microorganismes (cas des PGPR) produisent des hormones de croissance pour favoriser la ramification et l’allongement des racines ou du mycélium mycorhizien. »

De la colle améliorant la stabilité structurale du sol

Des composés produits par les racines et certains microorganismes peuvent également avoir un impact sur la structure du sol. Ce mucilage qui pourrait s’apparenter à de la colle génère un pouvoir tampon sur la sécheresse. « Ces macromolécules (glycoprotéines) modifient les propriétés de l’eau du sol et maintiennent un contact intime entre les racines et le sol favorisant les flux d’eau et d’éléments nutritifs. Le mécanisme varie selon les espèces mais il est bien marqué chez les céréales à paille où l’on remarque des gaines de terre sur les racines", observe Philippe Hinsinger. Ce mucilage agit comme une colle en agrégeant les particules minérales du sol. Il participe à sa stabilité structurale pour résister à l’érosion, aux désagrégations, aux tassements. Chez les champignons mycorhiziens, ce type de molécules appelé glomaline est produit en abondance. Ce mucilage s’ajoute à l’action physique des racines qui maintiennent la porosité structurale préexistante du sol.

Les mycorhizes méritent un gros chapitre à elles seules. Symbiose entre un champignon et les racines d’un végétal, elles se retrouvent chez la majeure partie des plantes, à l’exception des chénopodiacées (betterave, épinard…) et des crucifères (colza, moutarde, navette…) en ce qui concerne les grandes cultures. « La plante fournit des facteurs de croissance au champignon et celui-ci, en échange, transfère au végétal des éléments nutritifs et de l’eau en permettant l’extension du système racinaire jusqu’à 7 centimètres des racines, informe Jean-François Vian, enseignant chercheur à l’Isara (Lyon). D’autre part, les filaments mycéliens (hyphes) explorent une microporosité du sol non exploitable par les racines. »

Une capacité d’exploration du sol démultipliée avec les mycorhizes

« On retrouve de 2,5 mètres à 20 mètres d’hyphes par gramme de sol, précise Daniel Wipf, chercheur à l’Inra de Dijon. Le premier rôle des mycorhizes à arbuscules qui concerne 80 % des espèces végétales est d’accroître le volume du sol exploré avec la capacité d’augmenter de 40 à 1 000 fois la capacité d’une plante à capter l’eau et les éléments nutritifs. » Les racines occupent quelques pourcents du volume d’un sol dans le meilleur des cas.

En plus d’améliorer la nutrition des plantes, les mycorhizes présentent des rôles annexes tels que la protection contre des stress abiotiques (carences, sécheresse) mais aussi biotiques. « À condition qu’elles se soient installées avant, les mycorhizes entrent en compétition avec les pathogènes du sol et constituent donc une bonne barrière contre les infestations racinaires, informe Daniel Wipf. Le maillage de filaments mycéliens participe à la stabilisation du sol contre le lessivage et l’érosion, de même que l’excrétion de glycoprotéines agissant comme de la super glue dans le sol. »

Malheureusement, dans les conditions de culture conventionnelle, le développement des mycorhizes n’est pas toujours favorisé. Des exemples d’association de cultures entre légumineuse et blé ou entre lin et sorgho démontrent une mycorhization active faisant gagner en biomasse. Mais chaque combinaison est à étudier à l’échelle des variétés utilisées et aussi du facteur pédoclimatique. Les réponses sont différentes selon les régions.

Une mycorhization peu active avec les variétés modernes

Un défaut d’efficacité dans la mycorhization se voit notamment au travers des variétés modernes dont la capacité de faire des mycorhizes actives s’est perdue. « Les plantes ont été sélectionnées sur leur capacité à absorber des éléments nutritifs dans des conditions non limitantes, sans tenir compte des organismes du sol, observe Daniel Wipf. Des chercheurs suisses ont mesuré les effets d’une mycorhization sur onze variétés de blé anciennes (avant 1975) et onze modernes (après 1975). Un gain de biomasse a été obtenu avec huit des onze variétés anciennes et avec seulement une des onze variétés modernes », rapporte le chercheur. Les sélectionneurs commencent à travailler le sujet en établissant des partenariats avec les organismes de recherches experts en mycorhizes. Mais nous n’en sommes pas encore à la prise en compte de la capacité de mycorhization active comme caractère de sélection.

Un sol nu perd jusqu’à 30 % de sa diversité mycorhizienne en trois semaines

La plante régule le pH de sa rhizosphère

En plus d’orienter la biologie du sol en sa faveur, une culture peut agir chimiquement, par exemple par un flux de protons qui modifient le pH de la rhizosphère. « Pour le phosphore, dès lors qu’il y a la perception d’une carence, la plante change ce pH dans le sens d’une acidification des sols français qui montrent pour la plupart un pH autour de la neutralité, précise Philippe Hinsinger, Inra de Montpellier. Par rapport à un pH 7, on peut facilement descendre à 5 dans l’environnement immédiat des racines. Une partie du phosphore est rendue ainsi disponible par cette acidification. »

Des racines pour stocker le carbone

À l’Isara (Lyon), Jean-François Vian parle de rhizodéposition concernant la production d’exsudats par la plante au sein de la rhizosphère. « Pour les microorganismes du sol, c’est une véritable base trophique, affirme-t-il. En intégrant les racines qui restent après leur mort et tout ce qu’elles relarguent comme composés carbonés, 40 % des entrées de carbone dans le sol se font via les racines. Le premier levier pour stocker du carbone dans le sol, c’est d’avoir des racines ! »

 

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