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La résistance grandit chez les dicotylédones

On compte dix-huit espèces de mauvaises herbes résistantes à une ou plusieurs familles d’herbicides en France. À la suite des graminées, l’extension du phénomène aux dicotylédones ne manque pas d’inquiéter.

Il ne se passe pas une année sans la découverte de nouvelles résistances aux herbicides chez les adventices en France. En grandes cultures, le laiteron rude (Sonchus asper) a intégré la liste des mauvaises herbes résistantes en 2015. En vigne, la vergerette a fait de même en 2016 tandis que chez le coquelicot, on découvrait des plants résistants aux herbicides auxiniques en 2013, nouveauté pour cette famille de produits dans l’Hexagone.

Dans le paysage des adventices résistantes, les vulpins et ray-grass (ivraies) sont de loin les plus présents dans les plaines céréalières. « Ces graminées sont particulièrement concernées par les deux principales résistances rencontrées, celle aux inhibiteurs de l’ACCase (groupe Hrac (1) A, voir schéma ci-dessous) et celle aux inhibiteurs de l’ALS (groupe Hrac B). Tous les départements où ces espèces sont présentes de manière significative sont concernés », précise Céline Denieul, référente gestion des adventices chez Agrosolutions, filiale du groupe coopératif InVivo. Pour résumer, toutes les grandes régions céréalières sont touchées. À l’instigation de plusieurs spécialistes des mauvaises herbes dont Céline Denieul, le Columa (2) organise depuis 2012 des réunions régionales pour établir un état des lieux de la situation. Il a été réalisé jusqu’à présent sur plus de la moitié des départements français.

Qu’en est-il de l’importance des vulpins et ray-grass résistants dans les populations de graminées ? Christophe Délye, chercheur à l’Inra de Dijon, estime, à dires d’experts, que « plus de la moitié des parcelles de céréales sont concernées par la résistance de groupe A, et 30 à 40 % des vulpins et ray-grass pour le groupe B. Dans certaines parcelles, on rencontre les deux modes de résistance ». Plus que jamais, contre ces graminées, les moyens alternatifs au désherbage chimique sont un recours indispensable à leur maîtrise.

Des dicotylédones qui résistent aussi aux moyens de lutte agronomique

D’autres graminées montrent également des populations résistantes, mais dans une bien moindre mesure que les vulpins et ray-grass. Apparu plus récemment, le phénomène s’étend aux dicotylédones, ce qui suscite davantage d’inquiétudes. Les coquelicots résistants aux inhibiteurs de l’ALS gagnent la majorité des départements céréaliers même si dans certains, le nombre de cas est faible. « Détectée en 2013 en France, la résistance aux herbicides auxiniques (groupe Hrac O) concerne désormais plusieurs secteurs de production de céréales, ajoute Christophe Délye. Or, les nouvelles spécialités de Dow AgroSciences sont à base d’une molécule, l’halauxifen-méthyl (Arylex), appartenant à cette famille. D’autre part, c’est une adventice que l’on trouve beaucoup sur colza également et la méthode du labour tous les trois ou quatre ans qui fonctionne bien contre les graminées n’est pas du tout efficace sur les coquelicots, à cause de la viabilité élevée des semences. »

Ce qui vaut pour le coquelicot se vérifie aussi pour d’autres dicotylédones. « Nous avons moins de moyens alternatifs aux herbicides pour les gérer car les semences perdurent plus longtemps dans le sol et gardent leur potentiel de germination plusieurs années durant, signale Céline Denieul. Les vulpins et ray-grass sont très sensibles aux pratiques agronomiques, et sont contrôlables en introduisant du labour ou des cultures de printemps. »

Ne pas se retrouver dans la situation alarmante de l’Angleterre

Deux de ces dicotylédones posent question. « Les cas de séneçons résistants sont localisés au nord de la Bretagne mais la dynamique de dispersion est très élevée, avec des semences transportées par le vent. On trouve des séneçons résistants dans des vignobles tels que ceux du Val-de-Loire, du Rhône, du Bordelais avec un risque de dispersion fort vers les grandes cultures voisines, juge Céline Denieul. Or, contre cette espèce, nous disposons de moins de modes d’actions herbicides efficaces que contre le coquelicot, par exemple. »

Autre adventice, la stellaire intermédiaire ne se remarque que par quelques cas de résistances aux herbicides du groupe B en France. « Mais en Angleterre, la stellaire est un très gros problème avec des tapis de plants résistants et une perte de contrôle par les herbicides inhibiteurs de l’ALS, rapporte Christophe Délye. On parle plus des matricaires chez nous, où il y a davantage de cas de résistance. »

Outre-Manche, la situation est autrement plus problématique qu’en France. « Le vulpin a été décrété fléau national. L’espèce résiste à de nombreuses familles d’herbicides, et notamment à des substances actives comme le flufenacet ou le prosulfocarbe à la base de certaines spécialités très utilisées en France. Les agriculteurs anglais sont contraints d’appliquer des programmes de désherbage avec deux ou trois traitements d’automne et une ou deux applications de printemps pour se retrouver encore avec des infestations importantes. Et ils n’ont pas autant de possibilités que nous en termes de faux semis ou d’utilisation de cultures de printemps pour contrôler ces adventices. » Gageons que les Anglais n’exportent pas leurs gros soucis sur le continent.

(1) Herbicide resistance action committee.
(2) Commission sur la lutte contre les mauvaises herbes (AFPP).

Les phytoprotecteurs amplifient la résistance

Certaines pratiques de désherbage concourent à l’émergence de résistances, mais pas forcément là où on le penserait. Beaucoup d’antigraminée sont composés de substances actives herbicides et de molécules « safeneur » dites aussi « phytoprotecteurs » de la culture en place. « On désherbe des graminées dans des graminées, les céréales. Ces safeneurs servent à rendre le produit sélectif de la culture, présente Christophe Délye de l'Inra. Le safeneur exacerbe des mécanismes de dégradation des herbicides. Or, dans un travail (1), nous avons démontré que la résistance chez l’ivraie (ray-grass) pouvait être activée par ces phytoprotecteurs. Un herbicide seul appliqué sur ces adventices développait moins de résistance que quand il était utilisé avec un safeneur. En fait, les voies métaboliques entraînant une résistance non liée à la cible (2) chez des adventices taxonomiquement proches des céréales sont très similaires à celle produite par le safeneur. »

(1) D’Arnaud Duhoux, Inra de Dijon.(2) Par détoxication, différente de la résistance liée à la cible résultat de la mutation d’un gène.

Les pratiques agronomiques contrées par les adventices

Les pratiques agronomiques de destruction exercent-elles une pression de sélection sur les populations d’adventices, au même titre que l’utilisation d’herbicide ? Oui si l’on se réfère à une étude australienne (1). Le Ray-grass est un souci majeur dans le pays continent. Dans les modes de culture intensive, on a fini par sélectionner des populations de la graminée présentant des graines avec des dormances plus longues. Leur levée est ralentie, ce qui leur permet d’échapper aux techniques de destruction par les faux semis ou par les herbicides totaux avant les semis proprement dits de la culture. Ces mêmes populations résistent, en outre, à plusieurs familles d’herbicides appliquées en culture.

(1) De Mechelle J Owen et al, Pest Management Science, septembre  2014.

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