Installation : les obstacles à lever pour renouveler les générations en grandes cultures
Agrandissement, coût des reprises, inadéquation avec les attendes des repreneurs… les freins à lever sont nombreux pour parvenir à relever le défi du renouvellement des générations en grandes cultures.
Agrandissement, coût des reprises, inadéquation avec les attendes des repreneurs… les freins à lever sont nombreux pour parvenir à relever le défi du renouvellement des générations en grandes cultures.
Les chiffres(1) parlent d’eux-mêmes : la moitié des exploitations agricoles françaises sont dirigées par au moins un chef ou une cheffe d’exploitation de plus de 55 ans (seniors), ils sont même un quart à être âgés de plus de 60 ans. Dans les dix ans, une part non négligeable d’entre eux va donc partir à la retraite. En parallèle, le rythme actuel des installations ne suffit pas à compenser les départs. Pour les exploitations spécialisées en grandes cultures, le taux de remplacement est de 67 % en 2022. Une solution de reprise devra être trouvée pour la majeure partie d’entre elles, puisque 84 % de celles qui sont dirigées par un senior ne comptent qu’un seul exploitant.
Un moindre recul du nombre d’exploitations à tempérer
En matière de renouvellement des générations, chaque filière a ses particularités et ses enjeux. Avec 112 000 exploitations spécialisées en grandes cultures en 2020, elles résistent mieux (- 9 % entre 2010 et 2020) que les fermes spécialisées en élevage (- 30 %). Toutefois, dans ce secteur « des systèmes permettant aux agriculteurs de conserver leur exploitation plus longtemps peuvent masquer certaines réalités », estime Mathilde Schryve, responsable études et prospectives, au Cerfrance Bourgogne-Franche-Comté.
C’est en effet un des spécificités des grandes cultures : la nature du travail permet d’être un peu moins pressé qu’en élevage pour céder sa ferme grâce à la délégation de travaux, dont l’essor se confirme. D’après le dernier recensement, 12 % des exploitations céréalières sont déléguées intégralement à des tiers. Cela peut aussi passer par de la main-d’œuvre salariée ou des Cuma intégrales. Ces exploitations ne disparaissent pas, mais elles s’éloignent nettement du modèle d’agriculture familiale traditionnel.
Les grandes cultures face à l’agrandissement des exploitations
Contrairement à l’élevage, où une ferme qui n’est pas reprise, c’est un troupeau qui disparaît, en grandes cultures, une ferme qui ne trouve pas preneur, c’est bien souvent un voisin qui s’agrandit ! Les surfaces cultivées sont en effet loin de régresser dans les mêmes proportions que le nombre d’exploitations (- 0,8 %). Cette tendance se traduit par la concentration des exploitations et le développement des formes sociétaires. Derrière plusieurs exploitations, il peut parfois n’y avoir qu’un seul dirigeant. « Même si cela ne se voit pas toujours dans les statistiques », remarque François Purseigle, sociologue spécialisé en agriculture et auteur de l’ouvrage Une agriculture sans agriculteurs (2).
Entre 2010 et 2020, les producteurs de céréales et oléoprotéagineux ont vu leur surface moyenne progresser de 80 à 96 ha. Les grandes exploitations, dégageant plus de 250 000 euros par an de production brute standard (PBS) (3), sont les seules dont le nombre s’accroît entre 2010 et 2020 (+ 3,4 %). Elles représentent désormais une exploitation sur cinq. Dotées d’une SAU moyenne de 136 ha, elles exploitent près de 40 % du territoire agricole.
Compenser le déficit d’installations par l’agrandissement présente toutefois des limites. « Il y a un décalage entre les exploitations de grande taille à céder et les attentes des repreneurs, notamment ceux qui ne sont pas issus du milieu agricole », souligne Mathilde Schryve. Ces repreneurs seraient à la recherche de fermes moins grandes associées à un projet de transformation et de valorisation en direct. Le manque de rentabilité dans les secteurs de zones intermédiaires, facteur qui a poussé certains à l’agrandissement, est aussi un frein à la reprise. « Le problème des systèmes céréaliers, c’est qu’il y a trop d’aléas sans amortisseurs », note la responsable, qui remarque que ceux qui « font feu de tout bois » et multiplient les sources de revenus s’en sortent le mieux.
Déconnexion entre la valeur patrimoniale et économique des exploitations
Autre écueil : les capitaux de plus en plus lourds à mobiliser pour reprendre une exploitation. C’est encore plus vrai dans les secteurs céréaliers où les bons rendements sont au rendez-vous et où le prix des terres flambe, comme dans la plaine de la Beauce ou dans les Hauts-de-France. « Même si le schéma standard de l’installation familiale tend à régresser, il y a très peu d’installations hors cadre familial, constate Cédric Benoist, agriculteur dans le Loiret et secrétaire général adjoint de l’Association des producteurs de blé (AGPB). La déconnexion entre la valeur patrimoniale et économique des exploitations est problématique. »
La complexité de la réglementation serait aussi de nature à freiner l’enthousiasme d’éventuels candidats. « Les enfants d’agriculteurs qui voient leurs parents découragés par cet excès de réglementation ne sont pas attirés par le métier, observe Éric Thirouin, président de l’AGPB. D’autant plus au regard de la lourdeur du travail et du niveau de revenu qui n’est pas garanti. »
Sur le volet économique, Dominique Chargé, président de La Coopération agricole, estime qu’il faut « proposer un modèle résilient, qui sécurise un revenu, pour donner envie de s’installer ». Pour lui, les coopératives et les logiques de filières doivent pouvoir apporter une réponse sur ce point. D’une manière générale, la dimension collective est une source de solutions. « De plus en plus d’agriculteurs s’associent autour du partage de compétences », observe Mathilde Schryve. La volonté d’être moins seul sur sa ferme semble être une tendance forte chez la nouvelle génération, en lien avec le désir de mieux concilier vie familiale et vie personnelle. « Les jeunes installés ne veulent plus pratiquer l’agriculture avec la même organisation que ma génération », assure Cédric Benoist.
La structuration de plus en plus complexe de certaines exploitations agricoles suppose en outre l’acquisition de compétences très exigeantes et « multicasquettes ». « Il faut gérer les formations et les compétences tout au long de la carrière, estime Dominique Chargé. D’autant plus que demain, les parcours seront moins linéaires, on ne restera peut-être pas agriculteur toute sa vie ou bien on entrera dans le métier sur le tard. »