agriculture de conservation
Gagner en potentiel agronomique, c'est possible
Grâce au non labour et à une implantation massive de couverts en interculture et dans la culture, Frédéric Thomas a augmenté le potentiel agronomique de ses terres de Sologne.
D'après les données régionales, la réserve utile n'y dépasse guère les 25 millimètres et le taux de matière organique ne franchit pas les 1 %. Quinze ans plus tard, l'agriculteur a réussi, selon lui, a augmenté la réserve utile à 150- 200 millimètres. La preuve, cette année, il a récolté sans l'aide de l'irrigation 375 quintaux de maïs sur quatre hectares, des dégâts de gibier et sangliers ayant détruit une partie de la parcelle pour 25 quintaux. « Je n'aurai jamais pensé atteindre les 100 quintaux/hectare sur ces terres-là, s'étonne-t-il. Tout au plus, je tablais sur 80 quintaux au maximum.Mais depuis quelques années, cet objectif est souvent dépassé. »
DES DÉBUTS DIFFICILES
Frédéric Thomas explique cette performance par plusieurs années de pratique de l'agriculture de conservation, technique qu'il s'est employé à divulguer à travers l'association Base qu'il a créée en 2001. Le Solognot s'est en fait nourri de ses expériences vécues et des contacts permanents qu'il a maintenus aux États- Unis, en Australie et en Nouvelle-Zélande où se pratique la technique sans labour. Le semis direct a donc remplacé la charrue. Le maïs est semé avec un monograine Gaspardo. Un apport massif de matière organique est réalisé à raison de 30 tonnes de compost tous les trois ans. Et les premiers couverts végétaux ont été semés en 2003 en s'inspirant des travaux du brésilien Adenio Calegori qu'il avait étudié alors qu'il était étudiant à Agro- ParisTech. « Leur implantation a été difficile, souligne-t-il. La première année, j'ai obtenu tout au plus quelques centaines de kilos de matière sèche à l'hectare. »Au fil des années, la productivité des couverts progresse. Elle se situe à 4-5 tonnes de matière sèche par hectare en 2004 avec un mélange de tournesol, lupin, et moutarde. L'année suivante, le couvert a même produit 5,8 tonnes de matière sèche par hectare avec 160 unités d'azote dans les parties aériennes, le reliquat étant de 38 kilos d'azote. « Même en 2007, où les conditions d'implantation en juillet ont été difficiles avec la sécheresse, nous avons réussi à obtenir en trois mois une certaine quantité de biomasse avec un mélange de petits pois et cameline », se souvient-il.
ASSOCIATIONS D'ESPÈCES
C'est à partir de 2006 que l'agriculteur teste le semis sous couvert, suite aux travaux effectués par un agriculteur américain, Steven Graff, en partenariat avec l'association américaine Sare(1) qui lance dans les associations d'espèces. « Avec le colza associé à un mélange de lentilles, tournesol, pois, soja, vesce et sarrasin (récolte vesce + colza), je n'ai pas eu besoin de désherber en 2011. Cette pratique présente aussi un énorme avantage : en cas de fortes chaleurs, le couvert permet de conserver une fraîcheur près du sol. Or au-delà de 38 °C, les racines ne peuvent plus puiser l'eau. » Autre intérêt : en semant du blé et de la vesce dans des repousses de colza, il n'est pas nécessaire de traiter les limaces même si elles sont en abondance. Les limaces colonisent d'abord le colza, ce qui laisse le temps à la vesce et au blé de se développer.Il faut le reconnaître : la réussite n'est cependant pas toujours au rendez-vous. En 2006, avec la chaleur, la féverole est complètement grillé en juin. La parcelle se salit. « Ce n'était qu'un champ de chénopodes et de matricaires, note l'agriculteur. Nous avons alors implanté un nouveau mélange et semé l'orge sans détruire le couvert. »
La réduction des produits phytosanitaires est évidemment l'un des objectifs de Frédéric Thomas. « Mais je ne suis pas un 'antitout'. L'agriculteur doit gérer en permanence des compromis. S'il est nécessaire de travailler le sol, nous le ferons. L'application d'un antilimace est devenue rare sur l'exploitation depuis que nous pratiquons les cultures associées.Mais en 2007, la pression était trop forte, nous avons dû traiter.»
ENCORE DES MARGES DE PROGRÈS
Après quatorze ans de pratique, Frédéric Thomas estime que la structure du sol s'est améliorée moins vite qu'il ne le pensait. En revanche, la capacité des racines à puiser en profondeur a fortement progressé. Mais beaucoup de questions restent en suspens. « Avons-nous encore de nouveaux couverts à découvrir ? Faut-il apporter de la magnésie dans un sol où elle est abondante en surface, naturellement riche en profondeur, mais absente dans les 10 à 25 centimètres du sol ? Comment localiser la fertilisation sur le rang quand on réalise un semis sous couvert ? », se demande-til. Frédéric Thomas compte aujourd'hui sur les chercheurs pour développer ses connaissances, comprendre le système pour encore l'améliorer.Mieux coloniser le sol, c'est mieux valoriser l'eau
Au-delà du développement de la biomasse en surface, les couverts jouent un rôle prépondérant sur l'exploration des racines en profondeur. Celles-ci arrivent à franchir la couche d'argile imperméable. Les profils culturaux indiquent que les racines colonisent désormais plus d'un mètre, voire 1,50 mètre de profondeur, alors qu'elles étaient arrêtées à quelques dizaines de centimètres il y a quinze ans. « L'eau contenue dans les interstices argileux est maintenant pompée par les racines grâce aux galeries tracées par les vers de terre, explique Frédéric Thomas. Grâce à cette amélioration du fonctionnement racinaire, je suis de plus en plus convaincu que l'irrigation sur l'exploitation n'est pas nécessaire. »