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Ecophyto : après le Nodu, et le controversé HRI1, l'Inrae propose un nouvel indicateur pour mesurer l'utilisation et les risques des produits phytos

Un peu plus d’un an après la révision de la stratégie Ecophyto du gouvernement et l’abandon du Nodu français au profit de l’indicateur européen HRI1, Inrae publie son rapport et ses préconisations pour mesurer, en France et en Europe, le niveau d’utilisation des produits phytopharmaceutiques et leurs risques associés.

<em class="placeholder">agriculteur preparant un pulverisation avec un insecticide de marque Mavrik Smart et d un fongicide de marque Atriul sur une parcelle de ble. Pulverisation d un insecticide ...</em>
Le gouvernement a missionné l'Inrae pour trouver des pistes d'amélioration de l'indicateur européen HRI1.
© J.-C. Gutner

Depuis le 21 février 2024, sur fond de crise agricole, le gouvernement a revu la stratégie nationale Ecophyto en remplaçant l’indicateur français Nodu par l’indicateur européen HRI1 pour suivre l’évolution de l’utilisation et l’impact des produits phytosanitaires. L’objectif pour les pouvoirs publics était de remplacer l’indicateur français, complexe à calculer et ne permettant pas de mesurer de manière satisfaisante l’impact écotoxicologique des produits.

Répondre aux critiques à l’égard du HRI1

Face aux critiques émises par la communauté scientifique et des ONG environnementales vis-à-vis du HRI1, le gouvernement a adressé en juin dernier une saisine à Inrae (Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement), en vue d’analyser les intérêts et les limites de cet indicateur européen, et de proposer des pistes d’évolution de sa méthode de calcul. Le rapport (1) issu de ce travail a été présenté au gouvernement le 13 mai.

Apporter un éclairage aux politiques publiques

Pour mener leur réflexion, les scientifiques ont d’abord fixé un cahier des charges composé de quatre critères : l’indicateur doit reposer sur des connaissances scientifiques, prendre en compte les risques toxicologiques et écotoxicologiques, être utilisable dans chaque État membre et être aussi simple que possible à calculer. 

« Pour être utile, un indicateur doit coller aux objectifs d’une politique publique et doit permettre d’en mesurer l’efficacité », avance Jean-Noël Aubertot, directeur de recherche à Inrae et président du comité scientifique et technique du plan Ecophyto. La trajectoire de réduction de l'utilisation et de l'impact des pesticides s'inscrit notamment dans le cadre de la directive européenne SUD (Sustainable Use of pesticides Directive, 2009).

Manque de rigueur scientifique du HRI1

Concernant le HRI1 tel qu’il existe aujourd’hui, le constat est sans appel : son manque de rigueur scientifique ne permet pas de mesurer correctement l’utilisation des produits phytos et les risques associés. Dans leur rapport, les scientifiques préconisent a minima de l’améliorer mais ils vont plus loin en proposant un nouvel indicateur qui pourrait être utilisé au niveau européen pour évaluer l’effet des différentes substances actives sur la biodiversité et la santé humaine.

Traiter chaque substance active indépendamment

Le calcul actuel du HRI1 est basé sur la somme des quantités de substances actives (QSA) vendues en année N, pondérée par des coefficients liés à la classification des substances actives en différents groupes de risque : classe 1 (coefficient 1) : produits peu préoccupants ou produits de biocontrôle, avec un impact sur le milieu jugé faible ; classe 2 (coefficient 8) : produits de synthèse homologués qui ne relèvent pas des autres catégories ; classe 3 (coefficient 16) : substances dont on envisage la substitution ; classe 4 (coefficient 64) : produits non approuvés. « Ces catégories sont peu discriminantes et ne reposent pas sur des données scientifiques », observe Jean-Noël Aubertot. Preuve en est, 80 % des substances actives françaises vendues sont catégorisées dans le groupe 2. « Pour chaque groupe de risque, on additionne des QSA sans tenir compte des quantités utilisées à l’hectare (de quelques grammes à plusieurs kilos) et des profils écotoxicologiques des produits », note-t-il.

Se référer à la dose médiane de la dose homologuée au niveau européen

À la place de cette classification et de cette sommation directe des QSA, le rapport propose de comparer les quantités de substances actives utilisées à une dose de référence, en l’occurrence la médiane des doses homologuées dans l’Union européenne pour cette même substance.​​ « La médiane européenne est intéressante car elle ne serait pas trop sensible à d’éventuels changements réglementaires qui pourraient être décidés par les États membres », précise Jean-Noël Aubertot. L’idéal, d’après les scientifiques d'Inrae, serait que chaque substance active soit traitée individuellement pour rendre compte de leur spécificité en termes d’usage et d’impact.

Mettre fin au calcul rétroactif en cas de changement réglementaire

Pour améliorer le HRI1, les scientifiques appellent aussi à figer les valeurs historiques de l’indicateur. À chaque évolution réglementaire, un calcul rétroactif sur la totalité de la série temporelle est actuellement effectué (depuis 2009). « Le recalcul donne une vision très optimiste puisque le retrait d’une substance active engendre son passage dans le groupe 4 et affecte mécaniquement d’un coefficient 64 toutes les valeurs de vente des années précédant le retrait », peut-on lire dans le rapport. 

Par exemple, un agriculteur traite l’année N une parcelle avec une substance active du groupe de risque 3 (coefficient 16) épandu à la dose de 1 000 g/ha (soit un HRI1 de 1 000 X 16 = 16 000 g). L'année suivante, la molécule est interdite et bascule dans le groupe 4 (coefficient 64). L’agriculteur remplace alors le produit par un autre du même groupe de risque. La décision réglementaire ayant un effet rétroactif, le calcul de l’HRI1 sera réévalué pour les années antérieures à l’interdiction, en utilisant le facteur de pondération 64. La contribution au HRI1 passerait de 64 000 g (1 000 g x 64) à 16 000 g, soit une réduction de 75 %. Le Nodu, lui, aurait montré une stagnation.

Mettre en place un nouvel indicateur européen

Face à ces écueils, les auteurs du rapport émettent l’idée de mettre en place un nouvel indicateur. Il s’agirait d’un indicateur de risque agrégé, inspiré du TAT, Total Applied Toxicity développé par des chercheurs allemands, qui permettrait de mieux prendre en compte la toxicité des substances actives sur la biodiversité et la santé humaine.

Pour être calculé, il mobiliserait les connaissances scientifiques disponibles sur l’écotoxicité de chacune des substances actives. Ces connaissances sont produites au moment de leur homologation au niveau européen. D’après les auteurs du rapport, c’est la base de données PPDB (Pesticide Property DataBase), gérée et alimentée par l’Université d’Hertfordshire en Angleterre, qui offre la couverture la plus importante des substances actives présentes dans la BNV-D (banque nationale des ventes de produits phytopharmaceutiques par les distributeurs agréés). Les scientifiques d'Inrae préconisent d’ailleurs un meilleur accès à ces informations, qui pourraient être rendues accessibles par l’Efsa (autorité européenne de sécurité des aliments).

Mesure l'effet des substances actives sur l'environnement

Concrètement, pour mettre en œuvre cet indicateur, les auteurs proposent de rendre compte de l’effet des substances actives en ciblant des espèces modèles pour lesquelles « les données écotoxicologiques sont les plus abondantes ». Dans le rapport, un exemple de calcul de risque agrégé est proposé pour les rats (pour estimer le risque potentiel pour l’humain), les abeilles (pour le rôle écosystémique de la pollinisation) et les poissons (pour mesurer les effets non intentionnels sur les milieux aquatiques). « Les choix taxonomiques et les pondérations à considérer relèveraient de la décision publique », considère le premier auteur du rapport. Cet indicateur pourrait rendre compte des évolutions interannuelles pour chaque État-Membre et être rapporté à la SAU ou à la surface du pays pour faciliter les comparaisons.

Reste à savoir si un tel indicateur pourrait être mis en place au niveau européen en lieu et place du HRI1 actuel et à quelle échéance... En attendant, si le Nodu continue d'être calculé chaque année par les pouvoirs publics pour assurer une continuité des données, c'est l'indicateur HRI1 qui reste utilisé pour rendre compte de l'utilisation des produits phytos.

(1) Aubertot J.-N., Garnault M., Gouy-Boussada V., Reboud X., Lannou C., Blanck M., Landrieu T., Humbert L., Huyghe C. 2025. Vers un indicateur harmonisé pour quantifier l'utilisation des produits phytopharmaceutiques et les risques associés. Rapport de saisine INRAE.

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