En chiffres
Diversifier sa sole : le sorgho cas d’école
Économe en intrants et relativement indifférent à la sécheresse, le sorgho constitue un bon candidat pour la diversification des assolements. Une filière européenne commence à s’organiser. Mais elle doit composer avec la réalité des marchés.
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Allonger sa rotation en diversifiant ses cultures, voilà qui est dans l’air du temps. La PAC y pousse, puisqu’elle conditionne les aides du premier pilier à un nombre de cultures minimum dans la rotation. La technique en fait un impératif dans des situations de désherbage trop difficiles, et les marchés y obligent. Diversifier d’accord, mais avec quoi ? Patron durant 20 ans de l’AGPM (producteurs de maïs), Luc Esprit a une réponse : le sorgho. La culture consomme peu d’intrants, elle supporte des conditions plus sèches caractéristiques du réchauffement climatique, et il y a une demande potentielle. « En Europe, nous sommes en déficit, précise-t-il. Nous importons 150 000 tonnes par an de sorgho grain, pour beaucoup en provenance des États-Unis. Sur ce marché, l’Europe pourrait exister beaucoup plus ». C’est à cette tâche que s’attelle le projet Sorghum ID. Lancée en 2016, l’initiative a donné naissance le 26 septembre à une interprofession européenne éponyme. Son objectif : faire grimper de 50 % d’ici trois ans les surfaces de sorgho de l’Union pour les porter à un million d’hectares. Dans l’Hexagone, leader de la production avec l’Italie, cela signifierait passer de 55 000 à au moins 80 000 hectares en France. « C’est à la fois beaucoup et peu au regard du blé et du maïs dont les surfaces se comptent en millions d’hectares, indique Luc Esprit, délégué de Sorghum ID. Mais nous pensons que c’est à ce niveau de production que la tendance peut être inversée ». Il existe en tout cas un précédent : au début des années 90, la sole française est montée à 100 000 hectares. Et « lorsqu’en 2014, nous avons eu une très grosse collecte, les utilisations ont su évoluer pour s’adapter », observe Yannick Carel, chez Arvalis. Politiquement parlant, le sujet est porteur. L’Union européenne a donné 900 000 euros de subventions au projet sur trois ans.
Une concurrence du maïs précoce cultivé en sec dans le Sud-Ouest
Séduisant sur le papier, le défi est-il relevable dans les faits ? Dans les fermes, l’intérêt technico-économique est assez clair. À la tête de la chambre d’agriculture de Haute-Garonne, Yvon Parayre exploite en Gaec 450 hectares à Montgazin en Haute-Garonne. Le sorgho fait partie des cultures d’été qui précèdent le blé dur, production phare de la ferme. « On tend à diminuer le tournesol et à le remplacer par du sorgho, explique-t-il. Cela permet notamment de détruire les datura, xanthium et ambroisie, impossibles à traiter dans du tournesol ». Et puis le sorgho ne rapporte pas si mal (voir encadré). « Quand on arrive à faire des rendements de sept tonnes à l’hectare, c’est l’une des cultures les plus intéressantes », précise Yvon Parayre. Néanmoins, des freins techniques sont à lever. « On a dit longtemps que c’était une culture résistante à la sécheresse et à la chaleur, mais en fait, elle a des limites », constate-t-il. Le sorgho est très sensible au stress hydrique au moment de l’épiaison, soit autour de la mi-juillet pour une implantation fin avril. « Il peut y avoir un impact sur le nombre de grains par panicule », détaille Jean-Luc Verdier, spécialiste de la culture chez Arvalis. Sur le plan du désherbage, les graminées estivales posent problème, faute de produits disponibles suffisamment sélectifs. Une autre difficulté réside dans la détermination du bon moment pour la récolte, qui doit avoir lieu alors que les feuilles sont encore vertes. « Il faut bien évaluer l’humidité avant d’y aller », précise Yvon Parayre. Pas toujours évident. Depuis trois ans, la céréale est de fait concurrencée par le maïs précoce cultivé en sec, un concept développé par Pioneer. « En 2013, nous avons récolté à l’échelle du groupe 40 à 45 000 tonnes de sorgho, puis 65 000 tonnes en 2014, note Clément Roux, en charge de la commercialisation du sorgho chez Arterris, l’un des principaux acteurs du marché. Mais depuis, la collecte diminue. Nous en sommes à 32 000 tonnes. Ce niveau devrait toutefois rester stable : la variabilité des rendements du maïs dry, qui vont de 40 à 110 q/ha selon les années, est beaucoup plus forte qu’en sorgho. » La menace semble donc se juguler… Mais jusqu’à quand ?
Un marché de commodités qui produit peu de valeur ajoutée
L’un des problèmes majeurs auquel se heurte la culture, c’est son débouché principal, l’alimentation animale, un marché de commodités où il est difficile de se distinguer. Certes, les productions française et européenne ont l’avantage d’être sans tanin : « ce n’est pas le cas des grains qui proviennent d’Argentine, par exemple, souligne Sébastien Roualdes, chef produit tournesol et sorgho chez RAGT. Ces pays gardent les tanins pour éviter que les oiseaux ne dévorent les cultures ». Mais cela ne suffit pas à garantir un débouché. « Le prix résulte d’un arbitrage avec le maïs ainsi que le blé et le tourteau, explique Clément Roux. Le sorgho est riche en énergie comme le maïs mais il a également 1,5 % de protéines en plus, que l’on peut aller chercher dans le blé ou le tourteau, c’est selon. Pour faire le prix du sorgho, il faut regarder le coût du point de protéines dans le blé et le soja. » En moyenne, la céréale se vend cinq euros de moins la tonne que le maïs. Les marges sont donc limitées. Les principaux acheteurs, les fabricants d’aliments espagnols qui privilégient le sorgho car il donne à la chair de volaille une couleur blanche prisée dans le pays, ne sont pas prêts à travailler en filière : « Les flux à partir du port de Tarragone se sont fluidifiés ces dernières années, et ils ne manquent plus de marchandise, explique Clément Roux. Les petits opérateurs ne passent des contrats que sur deux ou trois mois. Les plus gros seraient intéressés, mais à condition d’avoir des volumes… ». Sauf qu’une garantie de volumes implique un minimum de sécurisation de l’amont…. Directeur de la CRL (coopérative de Villefranche de Lauraguais), autre acteur important en sorgho, Richard Sié est un peu désabusé : « cela fait 40 ans que l’on essaie de pérenniser cette culture et c’est toujours la même chanson. Ce qu’il faudrait c’est une aide couplée de l’Europe ». Sorghum ID compte bien pousser l’idée auprès de la Commission. Celle-ci semble pour l’instant plutôt réceptive. Autre piste : le développement de l’utilisation du sorgho, céréale sans gluten, en alimentation humaine. La toute jeune interprofession a du pain sur la planche.
En chiffres
Une production concentrée dans le Sud-Ouest
48 000 ha de sorgho en France en 2017
50 à 60 % des surfaces de sorgho françaises dans le Sud-Ouest et 10 à 15 % dans la vallée du Rhône
70 % de la collecte hexagonale exportée
130 à 160 000 ha de sorgho cultivés dans l’UE
Travailler davantage en filière
Paru en 2015 mais toujours d’actualité, un rapport réalisé par l’Inra pour le ministère de l’Agriculture pointe les freins à la diversification des cultures. Parmi ceux-ci : « l’insuffisance de coordination entre les acteurs, de l’aval à l’amont » apparaît « comme une cause majeure de l’échec de construction de filières de diversification ». Selon les auteurs, « les dynamiques de diversification qui réussissent sont liées à des organisations contractualisées, souvent initiées au niveau local, où les coordinations fortes sont plus faciles à construire ».