Des tests en grandes parcelles bien cadrés pour valider les innovations
En quête perpétuelle d’innovations, Anthony Frison, exploitant dans le Loiret, teste en bandes "agriculteur" toutes sortes de pratiques. Il observe en cours de campagne, compare systématiquement à des témoins, calcule ses marges… Puis réalise des répétitions en micro-parcelles. Un gros travail, certes, mais qui lui permet d’avancer seul vers un mode de production plus autonome.
"J’ai un capital de vingt années d’essais. Elles vont me servir à faire fonctionner mon système de cultures sinon en circuit fermé, en tout cas à réduire drastiquement interventions et intrants. » Installé depuis cinq ans sur la ferme familiale, à Courcelles dans le Loiret, Anthony Frison se donne jusqu’à 50 ans pour mener à bien son aventure agricole. Le métier d’exploitant est déjà sa seconde vie professionnelle. Il succède à un passé d’expérimentateur en agronomie et à une thèse en sciences du sol, qui n’y sont pas pour rien dans son goût prononcé pour les essais. Son credo : « J’ai besoin de comprendre, explique l'agriculteur. Je veux savoir si les nouvelles techniques ou les nouveaux produits ont un effet sur ma ferme, je n’aime pas être pris au dépourvu. Alors je teste sur mes parcelles pour avoir la réponse. » Seul de sa commune en agriculture de conservation, l’exploitant souffre de ne pas pouvoir se comparer à ses voisins. Il a donc besoin de construire ses propres références. L’agriculteur débroussaille ses questionnements en parcelles agricoles traditionnelles avant de confirmer par des expérimentations en micro-parcelles (voir encadré), conduites selon une démarche très scientifique. « Commencer dans des bandes 'agriculteur' me permet de gagner du temps et de tester ce qui est faisable en pratique, explique-t-il. Ensuite, je fais des répétitions pour vérifier. »
Des essais pour évaluer l’opportunité d’une application
Une partie des essais que mènent Anthony Frison consiste à valider l’intérêt d’un intrant, d’une application en cours de campagne, en les comparant à ses conduites habituelles. Une partie de la parcelle est donc faite « avec », l’autre, « sans », des jalons permettant de se repérer. Exemple : « L'année passée, j’ai eu de la rynchosporiose sur mes orges d’hiver, et je me suis demandé s’il fallait un dernier fongicide, explique-t-il. Pour le savoir, j’ai coupé ma rampe sur un tronçon et j’ai observé le développement de la maladie, en estimant visuellement le pourcentage de présence par étage foliaire sur 30 à 50 feuilles. J’ai comparé avec la parcelle traitée et je suis allé jusqu’au rendement.» Ce travail représente un investissement en temps d'autant plus que la moissonneuse-batteuse d’Anthony Frison n’est pas équipée de capteurs de rendement. Jusqu’à peu, il devait donc faire à la moisson des allers-retours au silo de la coop, tout proche, avec les bennes de ses bandes d’essais. « Ça me faisait perdre une demie-heure par essai, explique-t-il. Mais maintenant, j’ai investi dans une trémie peseuse pour avoir un jugement objectif.» Reste que pour Anthony Frison, les données chiffrées sont nécéssaires. « L’observation visuelle ne suffit pas, estime-t-il. Lorsque l’on met de l’engrais ou tout autre intrant dans ses champs, on a un biais psychologique : on a dépensé, donc on a envie que ça rapporte. »
Grâce à ces mesures et à ces essais, l’agriculteur a par exemple pu valider l’intérêt du cocktail bore/molybdène sur pois. « J’ai fait des essais avec et sans apports à floraison associés à un peu de sulfate et de potassium, et j’ai obtenu 10 quintaux/hectare de plus », souligne-t-il. Pour 40 euros/hectare de dépense, le coût de l’analyse foliaire qui lui a permis de définir le cocktail à apporter, il juge l’expérimentation rentable. Par rapport à ce que faisait son père, Anthony Frison estime avoir réduit en cinq ans de 50 % sa facture d’intrants : « en blé tendre, je suis à 324 euros/hectare de charges pour 2017, dont 143 euros d’engrais, 124 euros de phytos et 57 euros de semences », précise-t-il. Les techniques d’application, bas volume et coupures de tronçons notamment, mais aussi le recours aux adjuvants qui selon lui augmente l’efficacité des traitements, sont pour beaucoup dans cette réduction des charges.
L’intérêt des plantes compagnes en colza vérifié sur la ferme
Anthony Frison teste également des systèmes de production alternatifs, des expérimentations plus complètes et plus lourdes qui peuvent coupler intrants, travail du sol, fertilisation… C’est dans cette catégorie que se place le gros essai de près de 5 hectares qu’il a mené en 2015-2016 sur l’intérêt des plantes compagnes en colza. « Terres Inovia a beaucoup travaillé le sujet, mais cela a du mal à prendre dans notre secteur, explique-t-il. J’ai donc voulu comprendre les effets que cette pratique pourrait avoir sur ma ferme. » L’agriculteur a travaillé avec sa coop, intéressée elle aussi. Celle-ci a pris en charge la récolte, faite par un prestataire à l’aide d’une barre de coupe de 2 mètres de large, ce qui a permis à Anthony de multiplier les modalités testées sur des bandes de 70 mètres de long. L’agriculteur a essayé quatre modes d’implantation, labour, TCS, strip-till et semis direct, pour quatre mélanges de plantes compagnes (deux mélanges commerciaux, Jouffray-Drillaud et Sem Partners, mis à disposition pour l'essai, un mélange « maison » et du trèfle blanc nain seul). « J’ai adapté mon semoir monograine afin de parvenir à semer quatre choses différentes à la fois et gagner du temps », précise-t-il. Jusqu’au-boutiste, l’exploitant a également tenté trois stratégies de fertilisation : dose d’azote recommandée, réduction de 18 % et de 36 %. « J’ai profité de cet essai pour faire pas mal d’observations, notamment sur l’impact des plantes compagnes sur les insectes, ainsi que sur l’effet de cette combinaison de pratiques sur le développement des adventices », complète l’agriculteur. Bilan, les plantes compagnes ont eu un effet bénéfique sur les rendements, globalement supérieurs de 2 quintaux/hectare. Cela, indépendamment du type de mélange utilisé et du travail du sol effectué. Quant à la baisse de la fertilisation, une réduction de 18 % n’a pas modifié la productivité du colza, mais la baisse de 36 % s’est révélée risquée.
Le colza, culture la plus rentable de la ferme à ce jour
L’agriculteur a calculé les charges et les marges brutes des différents itinéraires techniques. « Avec des plantes compagnes, la marge brute est apparue quand même supérieure », observe l’exploitant, qui insiste sur le fait que ces résultats sont propres à sa ferme et à l’année, donc difficiles à généraliser. Cet apport de connaissances lui est en tout cas précieux : « Ça m’a pris du temps d’obtenir ce résultat, mais ça me permet de me rassurer sur mes techniques culturales », souligne-t-il. Le colza, pour lequel il choisit des lignées, est aujourd’hui l’une des cultures les plus rentables de la ferme. Il y adjoint, bien sûr, des plantes compagnes.
Pour cette campagne, l’agriculteur est plein de nouveaux projets. Dans les derniers tests en cours, différents enrobages pour ses semences d'orges de printemps. Certains sont commerciaux, d'autres "faits maison", puisqu'il est équipé d'une machine. Il compte aussi essayé la méthode "push/pull" sur ses maïs, qui consiste à attirer les pyrales en lisière de parcelle avec du sorgho puis à les repousser avec du fenugrec lorsqu'elles entrent à l'intérieur. Et ce ne sont que quelques idées...
240 hectares très diversifiés
240 ha en sols très argileux à limoneux
22 cultures dont 60 à 70 ha de blés (tendre, dur, améliorant), 30 ha de betteraves, 30 ha d’orge de printemps, 20 ha de maïs, 20 ha de colza, 20 ha de cultures porte-graines, des cultures en dérobée (sarrasin, cameline, moutarde blanche)
75 q/ha de rendement moyen en blé tendre
35 q/ha de rendement moyen en colza
90 t/ha de rendement moyen en betteraves
100 euros/ha de charge de structure liées à l’irrigation sur 230 ha
1 salarié et 1 apprenti