Alternative à la chimie : des macérations de plantes pour donner du peps aux cultures
Conventionnels ou bio, des agriculteurs se tournent vers l’utilisation d’extraits de plantes pour améliorer la santé de leurs cultures. À ne pas utiliser dans n’importe quelles conditions…
Conventionnels ou bio, des agriculteurs se tournent vers l’utilisation d’extraits de plantes pour améliorer la santé de leurs cultures. À ne pas utiliser dans n’importe quelles conditions…
Du purin d’ortie à toutes les sauces : Antoine Chedru en utilise sur la plupart de ses cultures depuis 2015. « Dans le but de réduire mes phytos, je m’y suis mis après une formation sur ce sujet(1) et via ma participation à l’association Sol en Caux, se remémore l’agriculteur de Goderville en Seine-Maritime. Je fabrique mes propres macérations. Dans cette démarche, avec d’autres agriculteurs, nous sommes conseillés par l’organisation Arad2 qui met en place depuis cinq ans des essais. » Ce type d’extrait est utilisé pour aider les plantes contre les pathogènes.
Antoine Chedru met en avant des résultats d’essais sur blé, notamment ceux obtenus sur l’année 2016 à forte pression maladies. L’utilisation d’extraits fermentés d’ortie (EFO) (3 applications) suivi de fongicides (2 traitements) se montrait la plus satisfaisante en termes de marge et de réduction d’IFT parmi les différentes modalités testées entre utilisation à 100 % d’EFO et programme fongicide classique.
Depuis, l’agriculteur reprend à son compte la stratégie de l’association d’EFO et de fongicides. Ces derniers sont souvent retenus pour un traitement au stade « dernière feuille étalée » et à la floraison pour lutter contre la fusariose des épis. Le purin d’ortie et d’autres extraits végétaux sont appliqués sur diverses cultures, pas uniquement sur le blé. « Ils nécessitent quelques précautions d’usages, souligne Antoine Chedru. Ils ne doivent être utilisés qu’en préventif vis-à-vis des maladies par exemple, ce qui sous-entend des heures d’observations de ses cultures. » Le mélange de macérations avec des fongicides est proscrit.
Amener la plante à un état d’équilibre en termes de pH et d’oxydo-réduction
Entre Yonne et Côte-d’Or, les terres superficielles de l’exploitation de Stéphane Billotte montrent des potentiels de rendement bien moindres. Mais comme Antoine Chedru, il recourt depuis plusieurs années aux extraits fermentés et il en fait même la promotion. « J’en utilise dès l’automne avec une application sur des céréales au stade 2-3 feuilles. L’objectif est de mettre la plante en bonne santé avant l’hiver. »
Le producteur reprend les principes d’équilibre entre pH et oxydo-réduction (redox) pour déterminer un état de santé de la plante. Ces principes sont mis en avant par différents spécialistes(2). « Si la plante est dans un état oxydé, c’est favorable aux pathogènes, juge Stéphane Billotte. Cet état peut être provoqué par des traitements phytosanitaires ou des conditions de stress. Les macérations à base d’ortie ont pour but d’amener la plante à un état d’homéostasie qui correspond à un état d’équilibre. »
L’agriculteur applique ces macérations également au printemps aux stades « épi 1 cm » et « dernière feuille étalée » du blé. « Sur une synthèse de six ans d’essais, avec ces macérations, on arrive toujours au niveau des fongicides, assure-t-il. Des traitements fongicides suivis d’application de macération produisent même des résultats meilleurs que la chimie seule. »
Un des leviers pour se passer des phytos mais pas le seul
Mais attention, il faut plusieurs conditions pour arriver à ce résultat. L’utilisation des macérations s’accompagne de pratiques rendant les cultures moins vulnérables aux attaques de pathogènes : utilisation de variétés tolérantes ou de mélanges variétaux, décalage de dates de semis, densité modérée de plantes, diversification culturale dans la rotation, bonne santé des sols… « Ces extraits sont un des leviers pour se passer des phytos mais pas le seul. Les applications doivent se faire en préventif sur des plantes non stressées sinon l’effet peut être inverse, signifie Stéphane Billotte. Sur des maladies déjà présentes en cultures, ces extraits peuvent accentuer la nuisibilité des pathogènes. »
Les macérations auraient également un effet nutritif (apports d’oligo-éléments) et biostimulant. Leur usage entre dans le cadre de la législation sur les préparations naturelles peu préoccupantes. Ces PNPP sont des substances naturelles à usage biostimulant, d’origine végétale par exemple, et des substances de base à intérêt phytosanitaire qui font l’objet d’une approbation par l’Anses (liste).
Leur application se fait avec un pulvérisateur comme pour les phytos tant décriés. « Le pulvé ne doit pas être mis aux orties mais les orties dans le pulvé », remarque avec malice Stéphane Billotte qui est en cours de conversion bio. À tout agriculteur qui souhaiterait en savoir davantage sur l’utilisation des macérations de plantes, le producteur conseille d’abord de suivre une formation sur la pratique. Si toutes les conditions de performance culturale ne sont pas réunies, on ne gagne pas à tous les coups avec les macérations.
(2) Olivier Husson (Cirad), Éric Petiot, Hervé Covès (chambre d’agriculture de Corrèze).
Des extraits fermentés produits à la ferme
On trouve des purins d’ortie ou à base d’autres végétaux dans le commerce. Mais les agriculteurs peuvent se les fabriquer eux-mêmes, comme Antoine Chedru, à Goderville : « J’utilise de l’eau de pluie car cette eau doit être la plus pure possible. À 10 litres d’eau, je mélange 1 kilo d’orties que je prélève avant leur floraison. La macération s’effectue durant une dizaine de jours (variable selon la température) avec un brassage régulier. Je contrôle le pH et le redox, celui-ci devant être voisin de zéro. Une fois la fermentation terminée, l’extrait est filtré. » La macération peut alors être conservée à l’abri de la lumière et sans air plusieurs mois. Mais une fois la cuve ouverte, tout le purin d’ortie doit être utilisé.
CHIFFRES CLÉS
Un IFT fongicide inférieur à 2
Antoine Chedru, Goderville, Seine-Maritime
170 ha dont 80 de blé tendre, 30 de colza, 30 de lin textile, 15 de féverole, 12 de betterave sucrière…
Plus de 20 ans en agriculture de conservation des sols (ACS)
Jusqu’à 8-9 espèces dans ses couverts d’interculture : féverole, pois, vesce, lupin, tournesol, phacélie, trèfle d’Alexandrie, radis chinois
IFT fongicide à 1,6 en 2018-2019 (référence Écophyto à 2,5 dans le département) et coût de 30 €/ha
3000 l de purin d’ortie utilisés chaque année
CHIFFRES CLÉS
7500 litres d’extrait d’ortie
Stéphane Billotte, Nuits-sur-Armançon, Yonne
500 ha en cours de conversion biologique : blé tendre, triticale, blé de printemps, lentille, millet, sarrasin, luzerne, trèfle
Potentiel à 25-30 q/ha en blé bio (60-65 q/ha en conventionnel)
7500 l d’extrait d’ortie utilisés, entre autres macérations