Adventices résistantes, plus ça va, moins ça va
Les mauvaises herbes résistantes aux herbicides
se multiplient en nombre et se diversifient en espèces.
La tendance n'est pas près de s'inverser. Les raisons.
L'Hexagone compte actuellement une bonne douzaine d'espèces adventices résistantes à une ou plusieurs familles d'herbicides commercialisés actuellement : aux inhibiteurs de l'ACCase (groupe Hrac(1) A : clodinafop, cléthodime, pinoxaden...), aux inhibiteurs de l'ALS (groupe Hrac B : iodosulfuron, mésosulfuron, pyroxsulame...) et/ou au glyphosate.
Rotations courtes, non labour, simplification du désherbage avec la répétition d'utilisation des mêmes catégories d'herbicides... les graminées ont bien profité de l'évolution des pratiques agricoles. Vulpin des champs et ray-grass (ou « ivraies ») résistants sont bien installés dans la majeure partie de la France. Peut-on parler de généralisation des résistances pour ces adventices dans les régions ? Il n'y a pas de suivi exhaustif des populations de mauvaises herbes en France pouvant permettre d'établir un état des lieux fiable de la situation des résistances. « Mais aux dires d'experts de sociétés phytosanitaires notamment, on estime que 60 à 70 % des parcelles infestées en vulpin comportent des plantes résistantes aux inhibiteurs de l'ACCase et 30 à 40 % aux inhibiteurs de l'ALS, informe Christophe Délye de l'UMR Agroécologie de l'Inra de Dijon. Pour les ivraies, ce serait du même ordre d'importance, voire pire. »
Agrostis, digitaires, panics, bromes, folles avoines...
La Bourgogne Franche-Comté a fait l'objet d'une étude poussée ces dernières années, avec Marc Delattre, de Dijon céréales à sa tête. Si l'on prend les seuls cas des huit départements de ces deux régions, cinq comptent plus de vingt cas de vulpins résistants aux herbicides du groupe A et six pour le ray-grass.
Il faut compter également avec des folles avoines résistantes et d'autres graminées qui émergent : les agrostis jouet-du-vent, les digitaires (en maraîchage), les panics (sur le riz), les bromes. « Pour ces dernières, la résistance de populations aux produits du groupe B est un problème majeur car ce sont les meilleurs herbicides contre ces graminées », souligne le chercheur de l'Inra. Pour être vraiment complet sur les graminées résistantes, de fortes suspicions portent sur la sétaire verte, adventice commune en maïs. Quant aux ray-grass, des plantes résistent au glyphosate. Elles n'ont été détectées que sur vigne dans différents vignobles. Le risque du passage de cette résistance du ray-grass en grandes cultures est réel.
Après les graminées,
les dicotylédones
Les premiers cas de graminées résistantes aux herbicides utilisées actuellement étaient découvertes au début des années 90. Les dicotylédones ont suivi avec le coquelicot pour commencer et des plantes résistantes aux inhibiteurs de l'ALS au milieu des années 2000. Cette résistance est en expansion. Nous n'en sommes pas encore aux situations connues avec les vulpins et ray-grass. Mais des cas de résistance du coquelicot sont rapportés dans cinq des six département de la région Centre, dans trois du Midi-Pyrénées, dans l'Aisne, la Marne, la Côte-d'Or, la Saône-et-Loire, la Meuse, la Moselle, l'Yonne... pour les quelques régions où des recensements ont été effectués.
D'autres résistances à venir avec les nouvelles pratiques
Après 2010, la résistance aux herbicides du groupe B a été décelée chez des matricaires, des stellaires et, en 2013, sur le séneçon commun. La résistance au glyphosate existe aussi chez les dicotylédones en France avec l'érigéron (ou vergerette) de Sumatra en culture viticole. On parle également de crucifères devenant particulièrement difficiles à contrôler avec les inhibiteurs de l'ALS. Et d'autres espèces pourraient encore « entrer dans la résistance ».
Les produits inhibiteurs de l'ALS deviennent le gros pilier du désherbage, non seulement en céréales mais également sur tournesol et colza avec les variétés tolérantes Clearfield ou Express Sun (pour le tournesol) et bientôt sur betteraves. « De nouvelles espèces d'adventices sont ou vont être soumises à la pression de sélection de ces herbicides comme les crucifères et géranium sur colza, les tournesols sauvages et ambroisies sur tournesol, les chénopodes et betteraves adventices sur betterave », précise Christophe Délye. Il y a intérêt à accompagner ces pratiques du point de vue technique de façon à minimiser les risques d'émergences de nouvelles adventices résistantes.
(1) Herbicide Resistance Action Committee.
(2) Voir outil R-sim et grille de resistance des graminées.
« D'autre part, alerte Christophe Délye, avec les herbicides foliaires des groupes A et B qui commencent à lâcher sur le plan des efficacités, on reporte les stratégies de désherbage davantage sur les produits racinaires des groupes K1, K3 et N (pendiméthaline, napropamide, dmta-p, flufenacet, triallate, prosulfocarbe...). Les pressions de sélection de résistance vont jouer sur ces familles de produits. Des résistances sont connues dans des pays comme l'Australie, où des graminées résistent aux herbicides K3. » Plus que jamais, la mise en oeuvre des moyens mécaniques et agronomiques de lutte contre les mauvaises herbes est nécessaire(2). À adapter à la situation de chaque exploitation où cette panoplie peut trouver rapidement des limites tout comme la diversité d'utilisation d'herbicides.