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Gaec des deux frères, dans le Lot-et-Garonne
Elevage laitier : « J’ai appris à être autonome sur le troupeau »

Dans cette exploitation très diversifiée, les 85 vaches laitières côtoient vergers de pruniers et grandes cultures. Un système économiquement cohérent mais lourd en main-d’œuvre.

D’abord le nom. Le Gaec des deux frères a été créé par Laurent et Christophe Barret en 1997. Gisèle, épouse de Christophe, les a rejoints cinq ans plus tard. Trop compliqué, administrativement, de changer le nom du Gaec et cela aurait mis fin au contrat EDF, plutôt avantageux. La jeune agricultrice ne prendra pas moins toute sa place au sein de la structure, plus particulièrement sur le troupeau laitier. Le Gaec des deux frères, situé à Saint-Eutrope-de-Born, dans le Lot-et-Garonne, est une exploitation de polyculture-élevage qui fut longtemps typique des coteaux nord du département, mais qui est de moins en moins courante car l’élevage laitier s’y fait très rare. Le Lot-et-Garonne compte moins de 200 exploitations laitières pour une collecte de 70 millions de litres de lait. L’activité du Gaec se structure autour de trois pôles : les cultures de vente (blé, orge, colza, tournesol, sorgho, soja), la prune d’ente (17 ha) pour la production du fameux pruneau d’Agen IGP et enfin, un troupeau de 85 vaches laitières qui produit 750 000 litres de lait (8 800 l/VL). Les vaches laitières, c’est l’affaire et la passion de Gisèle. Les hommes donnent la main pour la traite et les soins aux animaux, quand il n’y a pas trop à faire à l’extérieur, mais la conduite du troupeau, c’est son affaire. Son mari s’occupe plutôt des grandes cultures et son beau-frère des pruniers. « Tout en étant spécialisés chacun dans notre domaine, nous sommes capables de nous remplacer », précise l’éleveuse.

« Avec la polyculture, on n’a plus de temps de repos »

La prune est très gourmande en main-d’œuvre : taille en hiver, récolte en fin d’été pendant trois semaines. Difficulté nouvelle : avec le changement climatique, l’ensilage de maïs a lieu en pleine récolte des prunes. « C’est vraiment folklorique, trois semaines non-stop, 24 heures sur 24, 7 jours sur 7 », raconte Gisèle Barret. Surtout quand des saisonniers quittent le bateau au bout d’une semaine de travail ! « Le côté négatif de la polyculture, c’est qu’on n’a plus de temps de repos, souligne-t-elle. L’exploitation s’est agrandie dans tous les sens : humainement, au niveau du troupeau, des vergers… Aujourd’hui, on ne peut pas aller plus loin. » La complémentarité prune-vaches laitières a pourtant du sens sur le plan économique. C’est elle qui a permis de passer la dernière crise laitière. Mais, aussi la mise en liquidation du GIE Sud Lait, en 2010, lorsque l’entreprise espagnole Leche Pascual abandonna ses producteurs français. Le Gaec livre désormais son lait à Sodiaal. Aujourd’hui, c’est l’inverse. La filière pruneau d’Agen traverse à son tour une grave crise. Le prix de la prune (avant séchage) a chuté de 2,13 euros le kilo en 2017 à 1,43 euro le kilo en 2019 et couvre désormais à peine le coût de production. Les stocks sont énormes laissant le champ libre aux acheteurs pour tirer le prix à la baisse. Le tout dans un marché international très concurrencé. Le bout du tunnel ne semble pas en vue.

« La génomique ne m’a pas convaincu »

Le troupeau laitier tout comme l’ensemble de l’exploitation s’est construit par étapes. À chaque installation, son quota supplémentaire, souvent important dans ce département en déprise laitière, et ses surfaces additionnelles. Le Gaec a consolidé sa production laitière en 2008 par la construction d’une stabulation à logettes de 81 places très fonctionnelle en remplacement de deux bâtiments avec aire paillée. « Grâce à la contention et à un jeu de barrières, je suis autonome pour trier et manipuler un animal, explique l’éleveuse. Nous avons privilégié la simplification du travail et la sécurité des hommes et des animaux. » Seule, la salle de traite, plus ancienne, n’est plus du tout opérationnelle.

« En 2008, nous avons préparé les animaux aux logettes, explique Gisèle Barret. Malgré cela, nous avons eu de gros problèmes d’aplombs. Sur le plan génétique, nous nous sommes donc focalisés sur les pattes et les mamelles. Du coup, nous avons mis un peu moins l’impulsion sur les taux. Ça se ressent aujourd’hui. La priorité, désormais, est de remettre des taux tout en maintenant le lait, la fertilité, la qualité des pattes…. » L’éleveuse utilise uniquement des taureaux américains de la société Bovec (programme GMS). Et jamais de reproducteur génomique. « La génomique ne m’a pas convaincue. J’avais besoin de conforter mon troupeau sur le plan génétique. Donc, Je voulais être sûre des résultats. Les premiers animaux issus de leurs taureaux se remarquaient dans le troupeau. Cela m’a conforté dans cette direction. » Elle pratique le croisement blanc bleu belge sur les vaches sans intérêt génétique et pour les retours (un tiers des veaux). Particularité du département : depuis ce début d’année, la chambre d’agriculture prend en charge le coût de la vaccination FCO pour faciliter l’exportation des veaux vers l’Espagne à condition que l’acheteur assure une meilleure valorisation (+ 15 à 20 €).

 

 
Le bâtiment est aménagé avec deux rangées de logettes (81 places). Le foin est déroulé devant des panneaux libre-service pour que « les vaches aillent chercher la fibre ». © B. Griffoul

 

« Nous misons au maximum sur l’autosuffisance »

Vaches et génisses ne pâturent pas. Les terres les plus fertiles et irrigables, donc cultivées, sont autour de l’exploitation. La structure est éclatée en trois blocs dont 50 hectares à 30 kilomètres où se trouvent les seules prairies permanentes (19 ha). Elles produisent le foin des génisses. Dix hectares de foin acheté sur pied complètent le stock. Le Gaec exploite 181 hectares, qui se répartissent entre pruniers (18 ha), cultures de vente (92 ha) et surfaces fourragères (71 ha). La moitié de la SFP est consacrée à l’ensilage de maïs, complété par de la luzerne (3 ha auxquels s’ajoutent 6 ha de première coupe de luzerne semence récoltée chez un voisin) et 13 ha de ray-grass italien et trèfle squarrosum. La semence de ray-grass est autoproduite. La première coupe de ray-grass est ensilée ; les suivantes fournissent le foin des vaches en lactation. La première coupe de luzerne est enrubannée. Une partie du blé (20 ha) est échangée avec de l’aliment vaches laitières. « Nous misons au maximum sur l’autosuffisance pour nourrir le troupeau », explique Gisèle Barret.

« Il faudra réfléchir à des alternatives au tout maïs »

 

 
Un film sous couche de 40 microns, sous la bâche noire, permet de renforcer l’étanchéité des silos d’herbe et de maïs. Un gain de temps (moins de sacs de sables à poser) et une meilleure conservation. © B. Griffoul

« Nous avons pas mal d’aléas sur les fourrages », poursuit l’éleveuse. Un coup de vent d’autan et le maïs est vite trop sec. Jusqu’à l’an dernier, l’irrigation n’apportait pas toute la sécurité voulue. L’eau est fournie par trois retenues collinaires. Si 70 hectares sont irrigables et équipés de lignes enterrées, les volumes d’eau disponibles ne permettaient d’arroser correctement que les pruniers, prioritaires, et de ne faire qu’un tour d’eau sur le maïs, qu’il fallait judicieusement positionner. L’agrandissement d’un lac en 2019, en copropriété avec un voisin, après six ans de bataille administrative, a permis de porter le volume d’eau disponible pour le Gaec à 60 000 m3. Un investissement de 100 000 euros qui a bénéficié d’environ 50 % de subventions (département et région). De quoi fournir désormais toute l’eau nécessaire au maïs. Face au chevauchement des périodes de récolte entre prune et maïs mais aussi aux aléas climatiques, le Gaec envisage néanmoins de réduire la surface en maïs et de diversifier l’offre fourragère. « Il faudra réfléchir à des alternatives au tout maïs ensilage : méteil, maïs grain humide, sorgho BMR…), anticipe l’éleveuse. Cela aurait aussi l’avantage d’amener une part plus importante de fibrosité dans la ration. »

« Il faut que ça roule du mieux possible »

« Depuis 2010, nous avons beaucoup revu l’alimentation pour favoriser la rumination, poursuit-elle. L’objectif est que les animaux soient au mieux pour qu’il y ait le moins de problèmes possible au niveau sanitaire. Un animal malade, ça prend trop de temps. Je suis régulièrement seule sur le troupeau. Il faut que ça roule du mieux possible. » Vigilance donc sur la fibrosité de la ration : longueur de coupe des ensilages, qualité et appétence du foin de ray-grass… En janvier dernier, la ration de base comprenait 12 kilos (MS) de maïs, 3,3 kilos d’ensilage d’herbe et 1 kilo de foin. Les ensilages sont distribués au godet désileur (sur télescopique avec pesée) et le foin est déroulé devant un long râtelier de 30 places. Le concentré est distribué au DAC. Ce choix de distribution (plutôt qu’une mélangeuse) a été fait avant la construction du nouveau bâtiment car les silos étaient sur deux sites.

Avec 3,3 kg/VL/jour de concentré azoté (42 % MAT), cette ration couvre 25 kilos de lait. De l’aliment VL (2,5 l) est distribué à partir de 27 kilos de lait (de 1 kg à 5 kg au maximum) et le correcteur monte jusqu’à 4,2 kilos. L’aliment minéral et le bicarbonate sont distribués à la main sur la ration et le propylène (jusqu’à l’IA) au DAC. « Je rajoute aussi des levures pour améliorer le confort digestif des animaux et par conséquent l’ingestion, explique Gisèle Barret. Depuis l’ajout des levures, les mammites à colibacilles ont pratiquement disparu. » De mai à septembre, l’enrubannage de luzerne remplace l’ensilage d’herbe pour éviter d’ouvrir le silo en période chaude. Le foin de luzerne est distribué à certaines périodes en complément de l’ensilage d’herbe. Un petit silo taupinière de maïs permet d’attendre que les fermentations se déroulent convenablement dans les deux silos principaux après la récolte.

Préparation au vêlage dans les règles de l’art

 

 
Trois parcs de vaches taries et génisses permettent de faire des préparations au vêlage soignées. Ils sont aménagés avec une double pente paillée, ce qui évite d’avoir à curer. © B. Griffoul

La préparation au vêlage est réalisée dans les règles de l’art pendant trois semaines avec un tiers de la ration des vaches en lactation, de l’aliment VL (de 0,5 à 2 kg/VL/jour) et un aliment minéral spécial vaches taries. Un hépato-protecteur est également administré avant le vêlage et parfois à l’ouverture du nouveau silo de maïs, si la transition est un peu rapide. « La préparation au vêlage nous a amené un gain monumental en termes de travail, de bien-être animal, de productivité, de frais vétérinaires… Les vaches démarrent bien en lactation. Les veaux sont vigoureux », assure l’éleveuse. Après sevrage au lait en poudre, les génisses sont élevées avec du foin et de l’aliment jusqu’à 12-13 mois puis avec de l’ensilage d’herbe, du foin et 1 kg de VL. Un à deux mois avant le terme, elles sont mises à part pour la préparation au vêlage (30 % de renouvellement). Malgré ce suivi de l’alimentation, le Gaec reste confronté à des résultats de reproduction insatisfaisants (40 % de réussite en 1re IA). « On essaie de faire du mieux possible, mais il faut continuer à travailler », dit-elle.

Réduire le troupeau pour installer un robot de traite

Si la conduite du troupeau est désormais bien calée, dans un bâtiment très fonctionnel qui permet à Gisèle Barret de travailler quasiment seule, il reste néanmoins un point noir : la traite. L’installation (deux fois cinq postes) avait été construite pour l’ancien bâtiment, en 2000. La traite est trop longue (deux heures matin et soir) et la salle de traite inadaptée à l’éleveuse (quais et commandes de décrochage trop hauts). Après plus de quinze ans de traite, elle est affectée par des tendinopathies des épaules. Se pose donc la question d’installer un robot. Mais, une stalle ne suffirait pas pour le cheptel actuel. Les associés envisagent donc une réduction du troupeau. « Je n’aimerais ne pas descendre au-dessous de 70 vaches », espère l’éleveuse. Une étude, prudente, de la chambre d’agriculture (60 vaches produisant 550 000 litres) montre une nette baisse du revenu avant de remonter progressivement après la fin des annuités du bâtiment en 2023. « Il n’y a que deux solutions : soit on installe un robot soit les vaches partent, prévoit l’éleveuse. La santé passe avant tout. 2020 va être une année de décisions. » Notre petit doigt nous dit que les vaches ont encore de beaux jours devant elles. Surtout quand la prune va mal.

« 2020 va être une année de décisions »

Chiffres clés

SAU 181 ha dont 43 ha de blé, 14 ha d’orge, 12 ha de colza, 10 ha de tournesol, 5 ha de sorgho, 6 ha de soja, 36 ha de maïs ensilage, 3 ha de luzerne, 13 ha de ray-grass, 2 ha de prairie temporaire et jachère, 19 ha de prairies permanente, 18 ha de pruniers.
Cheptel 85 Prim’Holstein à 8 800 l/vache
Production 758 000 litres
Chargement 1,8 UGB/ha
Main-d’œuvre 3 UMO et travail saisonnier pour la récolte de la prune

« Avec l’homéopathie, on apprend tous les jours »

 

 
Les vaches sont équipées des colliers de détection de chaleur et de rumination Heatime (54 pour le troupeau), « très utiles en homéopathie pour intervenir au bon moment ». © B. Griffoul

Se formant régulièrement, Gisèle Barret parvient à soigner ses animaux presque uniquement avec l’homéopathie.

Il y a six ans, elle est allée à la première formation organisée par la chambre d’agriculture sans grande conviction. Si ce n’est l’envie de réduire l’usage des antibiotiques et des médicaments. Aujourd’hui, Gisèle Barret est mordue d’homéopathie vétérinaire et continue à se former régulièrement. « L’homéopathie est une science complexe. On apprend tous les jours. On arrive à soigner aussi bien qu’avec l’allopathie voire mieux, hormis le parasitisme. Les résultats sont épatants. » Mammites, boiteries, gros jarret, rétention placentaire, métrites, diarrhées, conjonctivites… Peu de choses résistent aux petits granules, selon l’éleveuse. « Je traite aussi des animaux en état de décompensation, ce qui peut leur éviter de développer une pathologie. Dès que je vois quelque chose qui ne va pas, j’interviens. Sur les mammites à grumeaux, le résultat est spectaculaire. Si on intervient tôt le matin, le soir, la vache n’a plus rien et, deux jours plus tard, son lait est dans le tank. Parfois, elles prennent plus de temps à guérir mais, souvent, il n’y a pas de récidive. L’homéopathie enlève aussi le stress de faire des piqûres et le stress de la séparation du lait lors de la traite. » Au tarissement, seules les vaches infectées pendant la lactation sont traitées avec un antibiotique (sinon seulement un obturateur). « Le porte-monnaie a apprécié », ajoute l’éleveuse Les frais vétérinaires ont été divisés par deux (3 000 €/an). Pour le parasitisme, pas de traitement systématique mais une surveillance (coprologie, recherche d’Ostertagia dans le lait). « Pour que l’homéopathie fonctionne, il faut que les bases, en matière d’alimentation notamment, soient bonnes », insiste Sébastien Brunet, conseiller bovin lait. Il anime un groupe d’une vingtaine d’éleveurs très motivés par cette médecine alternative autour d’Hervé Gratien, vétérinaire formateur en homéopathie.

AVIS : Sébastien Brunet, chambre d’agriculture du Lot-et-Garonne

« Les génisses sont la base du troupeau »

 

 

« Dans cette exploitation, les décisions sont mûrement réfléchies, après avoir pris le maximum d’informations à l’extérieur. Gisèle Barret participe à de nombreuses formations : parage, homéopathie, conduite des génisses… Elle a notamment bien intégré que les génisses sont la base du troupeau au travers de la sélection, d’un bâtiment fonctionnel qui permet de faire des lots homogènes, d’un suivi régulier des croissances… Le coût alimentaire était un peu élevé tant que l’irrigation du maïs ne pouvait pas être optimisée. L’augmentation du volume d’eau disponible, qui assurera plus de régularité sur la qualité des fourrages, devrait permettre d’aller chercher un peu de rentabilité de ce côté-là. Les frais vétérinaires sont très maîtrisés du fait de l’utilisation de l’homéopathie qui passe par une surveillance très attentive des animaux. La mise en place d’un robot de traite est un passage obligé pour conserver le lait sur cette exploitation, en lien avec les problèmes de santé de Gisèle et le fait qu’elle est souvent seule sur le troupeau. Mais, vu sa passion pour l’élevage laitier, il n’y a pas de raison que cela ne marche pas. »

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