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Elevage bovins viande : mieux s'organiser pour mieux vivre au travail

Le travail, sujet très personnel n’est pas facile à aborder. Pourtant, il est un point de tension de plus en plus fort pour les éleveurs qui doivent l’intégrer dans la réflexion stratégique des élevages.

Elevage bovins viande : mieux s'organiser pour mieux vivre au travail
© C. Delisle

Alors que la productivité du travail en élevages agricoles a fait d’énormes progrès, la charge de travail n’a cessé de croître ces dernières décennies. Pourtant, les nouvelles générations d’éleveurs et les non-issus du milieu agricole sont particulièrement sensibles à l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée. Le travail est ainsi un facteur essentiel de la compétitivité et de l’attractivité du métier. L’organisation est un levier pour atteindre cet équilibre et améliorer la qualité de vie des éleveurs.

Optimiser son temps de travail, investir pour produire autrement, se diversifier, s’agrandir… entraînent des modifications dans son organisation. Ces dernières doivent être réfléchies, au même titre que les autres facteurs de production. Le travail reste un facteur de production difficile à documenter car c’est une notion multifacette dont l’analyse requiert l’articulation de plusieurs approches disciplinaires et ne peut se contenter d’une étude externe. Les ressentis personnels et les choix individuels doivent être compris et respectés.

Un sujet intime et tabou

« Le travail reste un sujet intime tabou. Il demeure une valeur forte en agriculture et renvoie à la relation personnelle que l’agriculteur entretient avec celui-ci. Pour certains ce n’est pas un problème de repousser à la main car cela permet d’observer les animaux. C’est une question de ressenti. Il n’est très certainement pas possible de supprimer les grosses périodes de travail mais il est tout à fait envisageable de les alléger (délégation, entraide, entreprise, Cuma…). Pour cela, il faut changer l’importance des choses, se poser les bonnes questions. On mesure l’efficacité économique ou technique. Il est plus difficile de le faire avec le travail. Les périodes de reproduction sont le départ de toutes les tâches sur le troupeau. Une bonne organisation autour de cette période est un bon prérequis », observe Marc Dudrut, conseiller élevage dans la Creuse.

Une meilleure organisation du travail, sur des exploitations où on se retrouve de plus en plus seul, représente un moyen de se dégager du temps et d’avancer. Plus on rentre dans une gestion stricte de la productivité et plus on va être performant. L’efficacité au travail ne touche pas que le temps de travail. Elle concerne aussi l’efficacité économique de l’exploitation. « Avec les évolutions de ces quinze dernières années (augmentation des surfaces, départ en retraite dans de nombreux Gaec parent-enfant…), la main-d’œuvre est devenue un facteur limitant ! », note Marc Dudrut. Une bonne organisation doit être un préalable à l’augmentation du troupeau. Des équipements d’alimentation et de paillage de plus grande capacité, avec une bonne rapidité d’exécution, permettent de gérer un troupeau de taille plus importante. Mais un défaut d’organisation générale ne sera jamais compensé par des équipements plus performants.

Chacun ses priorités

« Le travail d’astreinte, par sa répétitivité, pèse moralement comme physiquement, c’est donc sur ce point qu’il faut mettre la priorité pour améliorer ses conditions de travail. Le limiter à cinq heures maximum par jour est indispensable. Il est également important de faire correspondre la taille de l’exploitation et la main-d’œuvre disponible », souligne Chloé Fivet du Centre Wallon de recherches agronomiques.

Il y a peu d’études récentes sur le sujet en élevages allaitants mais la plupart d’entre elles montrent une grande variabilité du temps de travail. Toutes les exploitations sont différentes. Les leviers à actionner pour mettre en place des ajustements sont donc à raisonner selon son exploitation.

Mesurer son temps de travail permet de rationaliser la façon dont celui-ci est organisé. Aujourd’hui, le développement de logiciels et d’applications spécialement conçus rend la tâche plus aisée. Cela peut servir de mise en alerte si on passe plus de 3 000 heures par an et par personne. Avant de s’installer, mesurer son temps de travail prévisionnel est un bon point de départ pour disposer d’un regard sur le volume horaire. Par la suite, cet état des lieux chiffré peut permettre de mieux adapter ses décisions stratégiques comme, agrandir sa surface, construire un nouveau bâtiment, embaucher un salarié, arrêter un atelier ou en créer un nouveau, préparer son départ à la retraite et la transmission de la ferme… Certaines activités chronophages découlent d’un défaut d’organisation et peuvent être corrigées lorsqu’elles sont clairement identifiées.

Mesurer son temps de travail pour mieux le raisonner

Une bonne connaissance du volume et de la répartition du temps de travail permet d’éviter de prendre des décisions allant à l’encontre de la rémunération du travail et des orientations de l’agriculteur sur son exploitation. Connaître son fonctionnement actuel est essentiel pour repenser son organisation, sur le plan pratique comme l’aspect gestion dans la prise de décisions.

Aujourd’hui, des outils fleurissent pour épauler les éleveurs dans ce domaine (site internet déclic travail, application Aptimiz, calculette travail, jeux…). La chambre d’agriculture du Tarn propose par exemple Le Monopoly du temps, un jeu de cartes dont l’objectif est d’échanger sur la thématique du travail sous forme ludique à partir d’un cas concret. « Ainsi, on aide les agriculteurs à leur faire prendre conscience du temps de travail. Le but est de réfléchir ensemble à des solutions d’amélioration », observe Alexandra Pizzetta de la chambre d’agriculture du Tarn.

Le temps de travail interroge tous les acteurs car il est important de faire en sorte de proposer un métier qui fasse envie aux jeunes générations. C’est crucial pour l’attractivité de la filière.

 

Le saviez-vous !

Les agriculteurs sont les champions des travailleurs, toutes catégories, selon l’Insee dans son portrait des professions, d’après des données d’enquête de 2019. Ils travaillent en moyenne 55 heures par semaine, contre 37 heures pour la moyenne des personnes actives.

Une plateforme web dédiée au travail

 

Elevage bovins viande : mieux s'organiser pour mieux vivre au travail

 

Gratuite et accessible sur tous les supports, déclictravail.fr est une plateforme web dédiée au travail en élevages. « Ce site permet aux éleveurs de s’auto-évaluer et d’entamer une réflexion pour améliorer leurs conditions de travail en s’appuyant sur des connaissances actuelles, des témoignages d’autres éleveurs et les coordonnées de conseillers proches », explique Sophie Chauvat de l’Institut de l’élevage.

Le site dispose d’un autodiagnostic permettant d’en retirer des propositions concrètes et adaptées en cinq minutes, de 100 fiches solutions illustrées de témoignages et vidéos sur six thèmes (organisation et simplification du travail, aménagement des bâtiments, matériel, main-d’œuvre, travail administratif, travaux de transformations et de commercialisation) et de 200 trucs et astuces. Les coordonnées de 130 experts sont également disponibles pour aller plus loin.

« Les fiches solutions sont bâties à partir d’études terrain et d’expériences éleveurs. »

Cette plateforme est le fruit de la collaboration entre l’Institut de l’élevage, les chambres d’agriculture et le centre de recherche agronomique de Wallonie, avec l’appui financier de la CNE et du Cniel.

Adam Greenhalgh, éleveur à Gouzon dans la Creuse

« On synchronise les stades de vie pour une meilleure organisation »

 

Adam Greenhalgh, éleveur à Gouzon dans la Creuse

 

« Nos trois enfants sont pour ma femme et moi notre priorité. Aussi, cherche-t-on au maximum à organiser le travail sur l’élevage pour pouvoir nous occuper d’eux. Dans cette optique, on choisit de grouper la période de vêlages sur deux mois. Synchroniser les stades de vie des animaux présente un certain nombre d’avantages en matière d’organisation du travail car cela permet de concentrer les interventions (mises bas, vaccinations, sevrages, ventes…). Ainsi tout est plus simple. En parallèle, le pâturage tournant a été mis en place. Ce qui a présenté une charge de travail au départ est aujourd’hui un gain de temps. Les vaches changent toutes seules de parcelles et on n’a plus à mettre de nourrisseur pour les veaux. »

70 mères (40 limousines et 30 angus), naisseur-engraisseur de bœufs, 150 ha dont 15 de céréales.

Des temps disponibles parfois insuffisants

Pour mieux comprendre la charge de travail en élevages bovins viande et ses facteurs d’influence, le Centre wallon de recherches agronomiques (CRA-W) et ses partenaires (1) ont conduit une enquête dans 70 fermes wallonnes entre 2019 et 2021. L’élevage moyen de cette étude compte 100 vaches allaitantes associées à 108 hectares de surface agricole utile dont 75 % sont dédiés aux surfaces fourragères. "Le travail d’astreinte représente 66 % du travail total effectué sur l’exploitation et est très variable d’une ferme à l’autre. Annuellement, il représente en moyenne 25 heures 30 par vache allaitante mais varie entre 5 heures 30 et 60 heures."

À nombre égal de vaches, de grandes disparités sont observées. Elles peuvent s’expliquer par les bâtiments, les équipements et la conduite technique. "L’alimentation reste le premier poste en termes de charge de travail (38 %) suivi par les soins aux veaux et la surveillance", souligne Chloé Fivet du CRA-W. Le travail de saison moyen est de 140 jours par an. Celui relatif au troupeau est le plus gourmand en temps avec 70 jours de travail par an. On a par ailleurs calculé le temps disponible qu’il restait aux éleveurs pour permettre de gérer les imprévus et de réaliser les autres activités professionnelles et privées (gestion administrative, temps en famille…). « Il doit idéalement être supérieur à 1 000 heures. 61 % des éleveurs enquêtés y parviennent. Toutefois, 15 % d’entre eux disposaient de moins de 500 heures. »

(1) Étude réalisée en collaboration avec le CGTA et Elevéo.

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