Ecophyto 2030 : quels indicateurs utiliser pour suivre l’évolution de l’utilisation des phytos ?
Le projet de remise à plat du plan Ecophyto porte surtout sur les indicateurs pertinents à utiliser pour mesurer l’évolution des usages des produits phytosanitaires. Nodu français ou indicateur HRI1 européen ? Le débat fait rage et un compromis devra être trouvé pour assurer la poursuite d’Ecophyto plus sereinement.
Le projet de remise à plat du plan Ecophyto porte surtout sur les indicateurs pertinents à utiliser pour mesurer l’évolution des usages des produits phytosanitaires. Nodu français ou indicateur HRI1 européen ? Le débat fait rage et un compromis devra être trouvé pour assurer la poursuite d’Ecophyto plus sereinement.
Parmi les mesures prises par le gouvernement pour répondre à la colère des agriculteurs figure la remise à plat du plan Ecophyto. Lancé en 2009, Ecophyto ambitionne, à travers un réseau de fermes engagées dans la démarche, de parvenir à une réduction de 50 %, si possible, de l’usage des produits phytos pour l’ensemble des exploitations d’ici à 2030. Les discussions actuelles portent principalement sur les indicateurs utilisés pour suivre l’évolution de l’utilisation des produits phytosanitaires par les agriculteurs.
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Le Nodu correspond au nombre de traitements théoriques appliqués à pleine dose sur une surface d’un hectare
« Pour bien comprendre un indicateur, il faut savoir pour quoi il a été conçu », prévient d’emblée Christian Huyghe, directeur scientifique de l’Institut national de la recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae). Pour suivre l’utilisation des phytos, les indicateurs français, le nombre de doses unités (Nodu) et l’indice de fréquence de traitement (IFT), ont été élaborés il y a 13 ans au prix de longs mois de concertations et de débats entre les différentes parties prenantes (État, représentants des agriculteurs, associations environnementales, instituts techniques…).
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« Calculé à partir des données de vente des distributeurs de produits, le Nodu correspond à un nombre moyen de traitements appliqués annuellement sur l’ensemble des cultures, à l’échelle nationale, aux doses maximales homologuées », explique le ministère de l’Agriculture sur son site internet. Dit autrement, « le Nodu est rapporté à la surface agricole utile (SAU) française et correspond au nombre de traitements théoriques appliqués à pleine dose sur une surface d’un hectare ». Le Nodu ne prend pas en compte les produits de traitements de semences et les biocontrôles.
Quant à l’IFT, il s’agit d’un indicateur de suivi de l’utilisation des produits phyto à l’échelle d’une exploitation ou d’un groupe d’exploitations agricoles. Il permet notamment à l’agriculteur d’évaluer ses progrès.
Le Nodu ne reflète pas forcément l’évolution des pratiques des agriculteurs
Concernant le Nodu, Christian Huyghe comme Alessandra Kirsch, directrice des études chez Agriculture Stratégies et ingénieure agronome, voient une limite notable dans cet indicateur. « Il pourrait refléter la réalité de l’évolution de l’usage des produits phytos si la dose homologuée à laquelle il se réfère n’évoluait pas », avance le directeur de l’Inrae. Or, depuis quelques années, la France a fait évoluer sa législation en diminuant les doses maximales homologuées pour plusieurs substances. À commencer par la plus médiatique de toutes, le glyphosate. « Pour cette molécule, en 2020 la dose annuelle maximale autorisée est passée de 2 880 à 1 080 g par an et par hectare, soit une réduction de 60 % par rapport à la dose maximale précédente, illustre Alessandra Kirsch. Avec ce changement, un agriculteur qui diminue sa dose ne voit pas forcément son Nodu baisser. »
Autre aspect avancé par l’agronome : « Le Nodu ne se base que sur la quantité de pesticides vendus mais ne prend pas en compte la toxicité des produits : les produits les plus dangereux étant retirés progressivement, les produits restants sont moins efficaces et nécessitent parfois une augmentation des doses et/ou des passages. » Conséquence, le Nodu n’a quasiment pas évolué depuis sa mise en œuvre, il a même progressé de 4 % entre 2009 et 2021 d’après les chiffres du ministère de l’Agriculture.
L’indicateur européen HRI pondère l’usage des phytos en fonction de leur risque
Le Nodu empêcherait donc de voir les réelles avancées en matière d’utilisation de phytos, contrairement à l’indicateur européen dénommé HRI1. D’après les chiffres de la Commission européenne, la France a diminué son usage des phytos de 32 % entre 2011 et 2021. En parallèle, l’augmentation de l’utilisation des produits de biocontrôle se chiffre à + 187 % entre 2015 et 2021. Particularité de l’indicateur HRI1, il pondère l’usage des produits phytos en fonction de leur risque. Pour obtenir le HRI1, des coefficients sont appliqués aux tonnages de produits achetés en fonction de leur catégorie :
- classe 1 (coefficient 1) : produits peu préoccupants ou produits de biocontrôle, avec un impact sur le milieu jugé faible ;
– classe 2 (coefficient 8) : produits de synthèse homologués qui ne relèvent pas des autres catégories ;
– classe 3 (coefficient 16) : produits cancérigènes, mutagènes et reprotoxiques (CMR) 1 et 2. S’y ajoutent les perturbateurs endocriniens, dont une grande partie est reprotoxique ;
– classe 4 (coefficient 64) : produits non approuvés, autorisés à titre dérogatoire.
« La grande faiblesse de cet indicateur est son manque de finesse, avec de très grandes catégories de produits, considère Christian Huyghe. Mais cela permet d’éviter l’usine à gaz. » D’après lui, son intérêt est qu’il offre la possibilité d’être adapté à chaque pays. « On peut par exemple travailler sur la réduction des volumes ou sur le passage d’une catégorie à l’autre », avance-t-il. Autre atout, il permet de comparer les évolutions entre pays européen.
Les indicateurs d’utilisation des produits phyto, objet hautement politique
Les indicateurs, par définition imparfaits et pouvant être sujets à interprétation, sont des objets politiques dont se sont emparés les parties prenantes. Phyteis, le syndicat des fabricants de produits phytos, ainsi que la FNSEA soutiennent l’adoption par la France de l’indicateur européen HRI1. Un rapport parlementaire du 14 décembre 2023 va dans le même sens. Le député Dominique Pottier, rapporteur du texte, « juge très souhaitable de chercher à reprendre cet indicateur HRI sans délai et incite le gouvernement à œuvrer en ce sens auprès des institutions européennes ».
2/5 📰 Tribune @OuestFrance | #Ecophyto "Agriculteurs, pouvoirs publics et commission d’enquête parlementaire dédiée à ce plan arrivent à la même conclusion : l’indicateur qui permet de mesurer l’usage des produits phytosanitaires, le fameux #NODU, ne prend en compte que les…
— La FNSEA (@FNSEA) February 11, 2024
Les associations environnementales, notamment Générations futures, sont très attachées au Nodu et très critiques vis-à-vis de l’indicateur européen qu’elles ne jugent pas suffisamment clair. « Les coefficients de dangerosité sont trop faibles et ne contre balancent pas les quantités plus importantes de pesticides moins dangereux utilisés dans les calculs », expose Générations futures dans un communiqué. L’association menace de quitter le Comité d’orientation stratégique et de suivi (Cos) Ecophyto en cas de suppression du Nodu.
1/ 🚨 ALERTE #Ecophyto 🌿 Générations Futures révèle pourquoi l'indicateur HRI1, envisagé par le gvt pour le suivi du plan Ecophyto, est trompeur et biaisé, donnant une fausse impression de réduction de l'usage des #pesticides en 🇫🇷. https://t.co/YeqGAhPU0r @Veillerette 👇
— Générations Futures (@genefutures) February 8, 2024
Le président du comité scientifique des chambres d’agriculture et chercheur émérite en agronomie de l’Inrae, Jean-Marc Meynard, alerte sur un risque de rupture du dialogue autour du plan Ecophyto. « Si un indicateur controversé est imposé par l’État et l’Europe, on se dirige vers une évolution très négative d’Ecophyto, puisque personne ne sera d’accord sur l’interprétation des chiffres. Chacun fera référence à l’indicateur qu’il préfère, et plus personne ne se parlera », prévient-il.
Pour le chercheur, la piste de « deux indicateurs, un de dépendance, et un de nocivité serait une manière de dépasser les oppositions, et d’avoir une évaluation plus complète ». Les discussions sont en cours et devraient aboutir d’ici le prochain Salon de l’agriculture.