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Ethanol
[Coronavirus Covid-19] Possible division par trois ou quatre de la consommation d'éthanol en France

La filière éthanol française, mais aussi européenne et mondial, est en difficulté en cette période de crise sanitaire. Les cours de l'éthanol sur Chicago et Rotterdam ont chuté depuis février 2020.

© Vertex Bioenergy

Le syndicat national des producteurs d'alcool agricole (SNPAA) se réjouissait en février dernier de la forte croissance du marché de l'essence, et par ricochet de l'éthanol, spécialement l’E85 (carburant contenant 85% d’éthanol) : hausse de respectivement 7,5% et de 79% sur 12 mois glissant. Puis, l’épidémie de Covid-19 est passée par là. « Des analystes privés nous rapporte une division par trois ou quatre de la consommation d’essence depuis les mesures de confinement décidées mi- mars. Nous n’avons pas encore les chiffres, mais nous pouvons nous attendre à une baisse du même ordre de celle d’éthanol », craint Sylvain Demoures, secrétaire général du SNPAA.

Baisse de 30% de l’activité de l’usine de Lacq

La baisse de la consommation mondiale liée à la pandémie de coronavirus pèse sur les prix du pétrole, et par ricochet de l’éthanol. Ajoutons à cela la guerre commerciale entre l’Arabie Saoudite et la Russie. Sur Chicago, les cours de l’éthanol passent de 1,34 $/gallon au 1er février sur l’échéance rapproché, à 0,921 $/gallon au 31 mars. En Europe, la chute est similaire. « Sur l’échéance avril, nous étions à un prix Fob Rotterdam de 630-640 €/m3 en février, contre 432 €/m3 au 30 mars ! », appuie Julien Gérard, responsable Trading de l’usine de Lacq, appartenant aujourd’hui pour partie au groupe Vertex Bioenergy et à un consortium de coopératives du Sud-Ouest. Conséquence, les marges des éthanoleries sont au plus bas. L’usine de Lacq, produisant annuellement 235 000 m3 d’alcool à destination énergétique, pour une consommation de maïs annuelle de 550 000 t, s’est vue obligée de réduire son activité depuis le samedi 28 mars de 30%, indique le responsable trading. « Nous consommions 1 600 t/j de maïs. Aujourd’hui, nous sommes à 1 100 t/j », détaille-t-il. Mais ce dernier se pose la question suivante : sera-ce suffisant pour limiter la casse ? Rien n’est moins sûr ! « Si les mesures de confinement durent jusqu’à fin avril, nous devrons peut-être encore réduire la cadence, voire arrêter totalement temporairement l’activité », craint le trader.

La production d’alcool pour le gel hydroalcoolique ne compense pas totalement les pertes sur le débouché énergétique

Le président de la république française Emmanuel Macron déclarait mardi 31 mars décupler la production nationale de gel hydroalcoolique, produit fabriqué à partir d’alcool agricole, passant de 40 000 l/j à 500 000 l/j. La filière éthanol se réjouit d’une telle annonce, mais est consciente qu’elle ne servira qu’à amortir le choc. Sylvain Demoures rappelle que traditionnellement, la production d’alcool agricole française va à hauteur de 60% à destination du débouché carburant, et le reste pour d’autres usages. Celle destinée à entrer dans la composition du gel hydroalcoolique concerne moins de 1% des volumes. « Multiplier par 10 la production d’alcool pour le gel hydroalcoolique conduira peut-être à faire passer la part d’alcool à destination de ce gel de 0,7% à 7%. Mais cela ne compensera pas totalement la perte de parts de marché liée à la baisse de la consommation d’essence », prévient Sylvain Demoures. Julien Gérard confirme ses affirmations sur le terrain. « Je suis harcelé au téléphone pour des commandes d’éthanol à destination pharmaceutique. Mais cela ne compense pas la diminution de la consommation d’essence ! Nous sommes obligés de réduire notre activité, et nous avons des stocks ! ». Ce dernier ajoute que « remplir des réservoirs de voitures de 60 litres et des bouteilles de 100 ml n’est pas du tout la même chose ».

Un marché de la drêche de maïs tendu

Qui dit baisse de la production d’éthanol dit baisse de la production de drêches, destinée à l’alimentation animale. Ainsi, une partie du destin des éleveurs est liée à la filière éthanol, rappellent les experts. « Lorsque l’on écrase 1 tonne de maïs, on obtient 425-435 litres d’éthanol, 270 kg de drêches et le reste de CO2, que l’on peut réutiliser », explique Julien Gérard. Une baisse de la production d’éthanol conduira donc mécaniquement à une baisse des disponibilités en drêches à destination de l’alimentation animale. Et cela se ressent dans les prix. Au départ de Saint-Malo, les prix passent de 242 €/t au 16 janvier à 268 €/t au 26 mars sur l’échéance rapproché. Le site de Lacq est d’autant plus touché par la baisse de la consommation d’essence qu’il se spécialise dans la production de biocarburant. « Les éthanoliers produisant des biocarburants à partir de betteraves sucrières peuvent produire du sucre alimentaire. Les triturateurs de colza peuvent mettre en demeure leur site d’estérification mais poursuivre la trituration en produisant de l’huile alimentaire. Nous, s’il n’y a pas d’éthanol, il n’y a pas de drêches ! », ajoute Julien Gérard. Gildas Cotten, responsable nouveaux débouchés au sein de l’AGPM (Association générale des producteurs de maïs) prévient que certains pays européens ont des velléités de déroger aux taux d’incorporation de biocarburant pour se concentrer sur les débouchés alimentaires. « Grave erreur, car nous produisons également de l’aliment pour animaux », rappelle-t-il. Une lettre de divers représentants de producteurs de biocarburant (la Fediol – Fédération des producteurs européens d’huiles et de protéines végétales, EBB – European Biodiesel Board…) ainsi que la CEPM (Confédération européenne de la production de maïs) a été adressée le 24 mars à la Commission européenne pour lui rappeler les enjeux de la filière biocarburant et ses bénéfices pour les populations locales, notamment la moindre dépendance aux importations de soja OGM d’Amérique.

Difficultés au Brésil, aux Etats-Unis….

Les difficultés de l’éthanolerie française peuvent se reporter à l’Europe entière. Des courtiers rapportent des baisses d’activité en Allemagne, en Espagne etc. « C’est également le cas au Brésil et aux Etats-Unis », rappelle Julien Gérard. Reuters rapporte le 30 mars qu’un des plus grands distributeurs brésiliens du pays d’essence, la société Raizen, aurait indiqué à plusieurs producteurs d’éthanol qu’elle ne pourrait honorer ses achats, traduisant la chute de la demande en carburant et par ricochet en éthanol du pays. Aux Etats-Unis, les éthanoliers ont annoncé être en grande difficulté et se voient obliger de réduire leur production. Illustration de ce fait : l’Iowa State University’s Center for Agricultural and Rural Development (CARD), a indiqué en semaine 12 que les marges des usines états-uniennes sont tombées à -9.68 cents/gallon, un plus bas depuis sept ans ! Autre information parlante: le rapport hebdomadaire de l'Agence américaine d'information sur l'énergie (EIA) estime que la production d'éthanol aux Etats-Unis a reculé de 165.000 barils par jour (bpj) entre les semaines 12 et 13, pour s'établir à 840.000 bpj, un plus bas depuis septembre 2013. Rappelons que 30% à 40% du maïs états-unien part sur le débouché énergétique.

Quid de l’après crise sanitaire ?

Mais il faut déjà penser à l’après Covid-19. Et les professionnels de la filière contactés ne sont guère optimistes quant à un potentiel fort rebond de la consommation d’essence française. « Après la crise sanitaire, les gens pourraient avoir encore des réticences à sortir de chez eux », s’inquiète Sylvain Demoures. Ensuite, « ce qui n’a pas été consommé en mars ne pourra être rattrapé. Les gens ont fait leurs stocks d’essence au début du confinement, et ne roulent plus désormais. Un frigo ne se vide pas comme un réservoir à essence », alerte Julien Gérard. Toutefois, les deux experts sont confiants quant au soutien du gouvernement. « Forcément, l’éthanolerie s’en relèvera. L’Etat veillera à aider les entreprises en passe difficile », rassure Sylvain Demoures.

Pression potentielle sur les prix de l’éthanol et du maïs après la crise sanitaire

Il n’en reste pas moins que les prix de l’éthanol risquent de rester bas même après la crise du Covid-19 passée. « Les stocks sont très élevés aux Etats-Unis et au Brésil. Il se pourrait qu’ils veuillent déverser leurs excédents d’éthanol chez nous en Europe », s’inquiète Julien Gérard. Par ailleurs, qui dit baisse de la production d’éthanol, dit baisse de la consommation de maïs par les usines. Là aussi, ces pays pourraient être tentés d’exporter leurs grains sur l’UE, source de baisse de prix. Toutefois, « si les prix baissent trop en maïs, des taxes à l’importation seront adoptées », rappelle Julien Gérard.

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