Changement climatique : comment les oiseaux auxiliaires des vergers s’adaptent
Les mésanges charbonnières sont des oiseaux auxiliaires des vergers. Une étude de l’Inrae d’Avignon montre leur capacité d’adaptation aux changements climatiques, notamment en avançant leur nidification.







Les mésanges charbonnières sont des oiseaux cavernicoles communs en France qui nichent dans une diversité de milieux dont les vergers. Les cavités naturelles indispensables à leur nidification étant de moins en moins abondantes, elles s’installent volontiers dans les nichoirs artificiels pour se reproduire. Principalement insectivores durant cette période, elles consomment beaucoup de larves de lépidoptères qu’elles recherchent dans le feuillage des arbres. Appartenant à ce groupe d’insectes, le carpocapse des pommes fait partie de leur régime alimentaire.
Une première ponte au printemps avancée
À ce titre, les mésanges charbonnières sont des auxiliaires des vergers fruitiers car elles sont susceptibles de contribuer au contrôle biologique des insectes ravageurs. Par ailleurs, ces mésanges sont aussi d’excellentes indicatrices biologiques de la qualité des milieux où elles vivent. Le suivi de leur reproduction dans les nichoirs par l’observation des dates de ponte, du nombre d’œufs par ponte et de jeunes produits par couple permet d’évaluer l’impact environnemental des changements de l’usage des pesticides, du sol ou du climat. C’est dans cette perspective, au début des années 2000, qu’une équipe de l’Inrae (1) a installé des nichoirs dans des parcelles commerciales de pommiers et de poiriers sur le site atelier de la « Basse Vallée de la Durance », situé au cœur du principal bassin de production de pommes dans le sud-est de la France. L’équipe a mesuré les dates d’initiation des premières pontes enregistrées chaque printemps de 2002 à 2021 dans ces vergers, puis a analysé leur évolution dans un contexte de changement climatique. Durant cette période d’étude, les dates d’initiation de 704 premières pontes de mésanges charbonnières ont été enregistrées.
De manière générale, après avoir fait une première ponte au printemps, les mésanges charbonnières peuvent éventuellement en réaliser une deuxième en fonction des disponibilités alimentaires. Toutefois en 2021, ces premières pontes étaient en moyenne plus précoces de 8 jours par rapport à 2002, ce qui représente une avancée de la reproduction des mésanges d’environ quatre jours par décennie. Cette évolution est semblable à celles observées dans des milieux naturels non cultivés chez de nombreux oiseaux en Europe. En effet, une analyse portant sur 41 espèces a quantifié une avancée moyenne de la saison de reproduction de 3,7 jours par décennie. Depuis le milieu des années 1970, on observe un phénomène d’adaptation des oiseaux à l’augmentation des températures printanières enregistrées entre la mi-février et le début du mois d’avril. Dans la zone d’étude, les températures moyennes observées en mars et avril sont restées relativement stables de 2002 à 2021. En revanche, les mésanges présentes dans les vergers ont ajusté leur phénologie de reproduction (voir encadré) en réponse à l’augmentation des températures moyennes de février (+1,8 °C), probablement en lien avec une meilleure coïncidence de la phénologie des insectes.
Synchronie phénologique entre oiseaux et proies
La sensibilité phénologique des oiseaux aux variations de la température peut différer d’une espèce à l’autre. Les espèces dites « spécialistes » doivent s’ajuster au cycle biologique d’un seul type de proie, tandis que les « généralistes » sont plus tolérantes aux changements environnementaux car elles utilisent une plus large gamme de ressources. Cette sensibilité peut également varier d’une population à l’autre au sein d’une même espèce en fonction des habitats. Une étude menée sur 67 populations de mésanges charbonnières et de mésanges bleues à travers l’Europe a révélé que les individus vivant dans des environnements dominés par des arbres à feuilles caduques, comme les vergers étudiés, présentent une sensibilité phénologique au climat plus marquée que ceux évoluant dans des habitats composés d’arbres à feuilles persistantes ou des habitats mixtes.
Enfin, la réponse au réchauffement climatique printanier des oiseaux migrateurs est moins claire que celle des espèces sédentaires. Par exemple, les gobemouches, qui passent l’hiver en Afrique, peuvent avancer leur période de ponte, mais cette progression reste inférieure à celle des mésanges sédentaires sur les mêmes sites de reproduction en Europe. En l’absence d’adaptation de la période de reproduction, un réchauffement printanier plus précoce peut entraîner un décalage temporel entre la disponibilité de la nourriture, en particulier des insectes, et les stades critiques de la nidification des oiseaux. Ainsi, les couples qui se reproduisent trop tard par rapport au pic d’abondance des proies doivent alimenter leurs oisillons avec une disponibilité de nourriture de plus en plus faible, ce qui est très préjudiciable à la survie des nichées.
L’installation de nichoirs reste pertinente
Les conséquences d’une telle asynchronie entre les oiseaux et leurs proies sont spécifiques à chaque espèce d’oiseaux. Elles peuvent être faibles pour les espèces capables de nourrir les oisillons avec des proies alternatives, alors qu’elles sont très négatives pour les espèces qui n’en sont pas capables et doivent raccourcir la période de reproduction. La durée de la période de dépôt des premières pontes des mésanges charbonnières étudiées a peu varié de 2002 à 2021 et la date du début de la reproduction est plus précoce. Cela pourrait traduire une avancée de la disponibilité des chenilles (dont le carpocapse) et/ou leur capacité à consommer des proies de substitution parmi les arthropodes présents dans les vergers lorsque les chenilles, proies préférentielles en période de reproduction, sont peu abondantes.
Les résultats montrent que les mésanges charbonnières qui se reproduisent dans des agroécosystèmes intensifs tels que les vergers de fruits à pépins du sud-est de la France sont capables de s’adapter au changement du climat au même titre que celles qui habitent les milieux naturels non cultivés. Elles synchronisent ainsi la phénologie de leur reproduction à celle des insectes, ce qui contribue à maintenir leur rôle dans le contrôle biologique des ravageurs. Ainsi, l’installation de nichoirs dans les vergers fruitiers reste utile et pertinente, en privilégiant toutefois les vergers conduits en agriculture biologique. (voir encadré).
Les oiseaux insectivores avancent leur reproduction
Ces dernières décennies, avec l’augmentation des températures printanières due aux changements climatiques, les plantes et les animaux ont avancé la phénologie de leur reproduction. Les plantes ont répondu aux températures plus élevées au début du printemps par un bourgeonnement et une floraison plus précoce qu’auparavant. Les organismes prédateurs, comme les oiseaux insectivores, tendent à leur tour vers un avancement saisonnier de leur reproduction pour synchroniser l’alimentation de leurs jeunes avec les pics d’abondance de leurs proies plus précoces. Cette réponse des oiseaux insectivores aux changements climatiques a essentiellement été étudiée et montrée dans les écosystèmes naturels non cultivés. En revanche, les études en milieux agricoles, et en particulier dans les agroécosystèmes intensifs sont encore rares.
Plus de jeunes dans les vergers bio
Des suivis récents de mésanges charbonnières équipées d’émetteurs radio ont montré qu’elles s’y nourrissaient, contrairement aux mésanges nichant en vergers conventionnels où cela n’a pas été observé. En production conventionnelle, le succès reproducteur des oiseaux en termes de jeunes à l’envol par couple et par hectare est respectivement trois et quatre fois plus faible que dans les vergers en agriculture biologique. Cette différence s’explique par l’impact des insecticides chimiques non sélectifs, soit directement par contact, soit indirectement par une raréfaction des insectes qui sont les proies des mésanges. L’installation de nichoirs en vergers conventionnels de fruits à pépins est par conséquent à éviter.