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Crédits carbone en grandes cultures : quelle rentabilité en attendre ?

Se lancer dans la vente de crédit carbone avec pour seul objectif la rentabilité est un pari risqué. C'est en revanche un bon outil pour faire évoluer son système vers la sobriété carbone, à condition d'avoir une approche cohérente à l’échelle de l’exploitation.

Couverts d'interculture. Les crédits carbone français devraient être payés entre 30 et 50 euros aux agriculteurs, un prix parfois inférieur au coût du changement de pratique que cela impose.
Couverts d'interculture. Les crédits carbone français devraient être payés entre 30 et 50 euros aux agriculteurs, un prix parfois inférieur au coût du changement de pratique que cela impose.
© SERPN

Les crédits carbone, un nouvel eldorado pour l’agriculture ? Prudence, répondent les spécialistes de ce marché naissant. Tous insistent sur le fait que l’aspect économique ne doit pas être le seul moteur d’un changement de pratiques. « Si c’est ça, les agriculteurs risquent d’être déçus », résume Morgane Henaff, manager transition bas carbone chez Agrosolutions. « Il faut voir les crédits carbone comme une opportunité pour faire évoluer son système. Pas comme une manne. Hier, implanter des haies ou passer en ACS ne générait aucun revenu. Désormais ces mesures sont en partie financées », explique Étienne Lapierre, responsable numérique chez Terrasolis.

Les tarifs proposés à la tonne de carbone par les porteurs de projets français tournent souvent autour de 30 €/t. Chez Soil Capital, pionnier du crédit carbone en grandes cultures, la rémunération plancher est fixée à 27,50 €/t pour un prix de vente du crédit carbone sur le marché inférieur à 40 €/t. « Au-delà, la rémunération est évolutive, précise Chuck de Liedekerke, dirigeant de Soil Capital. Quand le prix du marché dépasse les 40 €/t, l’agriculteur reçoit 69 % de ce prix. » Les premiers crédits carbone commercialisés par France Carbone Agri sont payés 30 €/t aux agriculteurs, et le dispositif Du carbone au cœur des sols, lancé par l’Apad (promotion de l’agriculture de conservation), garantit un prix minimum de 50 €/t pour les producteurs.

Des coûts de changement de pratiques parfois équivalents aux gains

« À 30 €/t rendu ferme, les crédits carbone ne rémunèrent pas toujours les mesures à adopter pour intégrer la démarche, prévient Étienne Lapierre, en s’appuyant sur les premiers résultats du projet Carbonthink qu’il pilote. En simulant la méthode bas carbone sur dix fermes de la région Grand-Est, nous estimons le gain potentiel de réduction de CO2 à en moyenne 0,5 tonne par hectare et par an. Or le coût des changements de pratiques atteint en moyenne 50 € par hectare et par an. Il y a donc un petit défaut de rentabilité. »

Aux éventuels coûts de changements de pratiques, il faut ajouter le ticket d’entrée dans la démarche (abonnement, prestations…), dont le montant varie selon les sociétés porteuses de projets. Sans oublier le prix du diagnostic de l’exploitation, étape indispensable pour mesurer la rentabilité de la démarche, vu les écarts de résultats d’une ferme à l’autre. Chez Soil Capital, il faut compter un investissement de 6 000 euros au total par exploitation.

« Les projets d’optimisation d’un système, qui génèrent peu de crédits carbone mais impliquent de faibles dépenses, sont souvent payants », prévient Baptiste Soenen. C’est par exemple le cas de l'ajustement de la dose d'azote. Dans les autres situations, le gain est plus aléatoire. « Les projets qui génèrent beaucoup de crédits carbones mais dont le coût de mis en œuvre est plus élevé sont plus risqués d’un point de vue financier », souligne l’expert. Par exemple, diversifier les systèmes de culture coûte cher.

Cumuler les démarches rémunératrices

Pour limiter les investissements, des solutions existent, à l’instar des subventions dédiées aux JA pour financer leur diagnostic initial. Certaines régions pourraient également débloquer des aides, comme dans le Grand-Est. On peut aussi sécuriser l’équilibre économique en valorisant de différentes manières la mise en place de pratiques génératrices de crédits carbone. Les couverts végétaux, la limitation du travail du sol et l’allongement des rotations sont ainsi valorisés par OleoZE. Ce dispositif disponible sur colza et tournesol génère un bonus moyen de 25 €/t. Cette prime provient non pas de crédits carbone, mais de la certification Biocarburants durables. Parce qu’il est garanti faible émetteur de gaz à effet de serre, ce biodiesel permet à nos voisins européens d’atteindre les objectifs réglementaires de réduction d’émissions.

À une autre échelle, la coopérative Nataïs, leader européen du maïs popcorn, propose une prime variable selon le volume des couverts d’interculture. Sur un modèle semblable, Heineken planche sur le lancement d’une filière orge brassicole bas carbone.

Les crédits carbone seront-ils tous payés ?

Autre fragilité des crédits carbone : une fois créés, il faut encore qu’ils soient vendus. Cela implique de trouver des clients sur le marché de la compensation carbone, qui est libre et basé sur le volontariat. Face aux crédits carbone à 2 ou 3 €/t disponibles à l’autre bout de la planète, adossés par exemple à des projets de réduction de la déforestation, le crédit carbone « premium » français doit trouver son créneau. Le ministre de l’Agriculture a d’ailleurs exhorté les entreprises nationales à montrer l’exemple, en compensant leurs émissions de GES avec des crédits carbone tricolores. « Le premier projet Label bas carbone élevage n’est financé qu’à 43 % mais la dynamique est bonne », note Baptiste Soenen.

Ces incertitudes et la diversité des offres plaident pour une grande prudence. « Les agriculteurs doivent être vigilants sur la fiabilité dans le temps de l’acteur à qui ils vendent leurs crédits carbone, prévient Martine Jullien, responsable de la veille stratégique à l’AGPB. Il est crucial de bien lire son contrat : à quelles échéances sera versée la rémunération ? Chaque année ou après cinq ans ? Est-elle acquise définitivement ? Il faut qu’il y ait un engagement de tarif clair. Au-delà de la rémunération, il y a l’enjeu de la cohérence de son système d’exploitation. Et ce n’est pas sûr qu’il y ait urgence à se lancer. »

 

Des crédits tricolores « premium »

Les crédits carbone peuvent être mieux valorisés lorsqu’ils s’accompagnent d’autres bénéfices environnementaux, comme la biodiversité. « Les acheteurs sont plus faciles à trouver si ces crédits sont associés à la plantation de haies par exemple. Certains sont même prêts à payer plus cher pour cela », illustre Morgane Henaff, chez Agrosolutions. En raison de son coût, du sérieux des acteurs et des impacts qui vont au-delà des GES, « le crédit carbone agricole français est le produit de luxe du marché par excellence », assure Étienne Variot, PDG de Rize AG.

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