Le digestat mieux valorisé avec l’automoteur
À la SCEA du Bas de Fontenay, dans le nord de la Manche, le digestat est épandu dans un rayon de 15 km avec un automoteur spécialisé, respectant les sols.
À la SCEA du Bas de Fontenay, dans le nord de la Manche, le digestat est épandu dans un rayon de 15 km avec un automoteur spécialisé, respectant les sols.
Les 18 000 m3 de digestat de l’unité de méthanisation de la SCEA du Bas de Fontenay, située à Fontenay-sur-Mer (Manche), sont, depuis juin 2017, épandus sur 500 ha à l’aide d’un automoteur à trois roues équipé d’une cuve de 16 m3 et du télégonflage. « Notre installation, opérationnelle depuis 2013, produisait au départ 250 kW, avant son extension à 650 kW en 2018. Les premières années, l’épandage était réalisé par une ETA avec des tonnes à lisier de 17 m3 tirées par des tracteurs. Les ensembles matraquaient parfois les terres, essentiellement argilo-limoneuses, et nous obligeaient à rattraper les dégâts en passant le décompacteur. Cette situation n’était pas envisageable à long terme, car elle s’opposait à notre pratique du semis direct sur une partie de notre exploitation (blé et colza) », précise Thomas Leloup, installé avec ses parents. Mettant le respect des sols au cœur de leur réflexion, les associés se sont d’abord intéressés à l’épandage sans tonne. « L’idée de travailler avec un ensemble au poids contenu est intéressante, en offrant notamment la possibilité d’intervenir plus tôt au printemps. Malheureusement, nos trop nombreuses petites parcelles ne sont pas compatibles avec la technique sans tonne. Les temps de mise en œuvre trop importants et les multiples changements d’endroit ne nous auraient pas permis d’atteindre des débits de chantier satisfaisants », indique le jeune agriculteur.
Un engin entièrement reconditionné
L’automoteur spécialisé est alors apparu comme le procédé le plus adapté, mais l’achat d’un appareil neuf n’était pas économiquement viable. La SCEA s’est alors dirigée vers un modèle Vervaet Hydrotrike âgé de 10 ans. « Pour environ 200 000 € HT, nous avons acquis un engin entièrement reconditionné par le constructeur néerlandais. Les trois pneumatiques Michelin de 1 050 mm de large et tous les flexibles hydrauliques ont été remplacés, alors que la transmission hydrostatique et le moteur DAF de 450 ch ont été révisés. De surcroît, l’investissement s’avérait moins élevé qu’un ensemble tracteur et tonne. » Les exploitants ont opté pour deux équipements d’épandage. Le premier est un outil à deux rangées de dents de 8 m de large. « Cet enfouisseur, utilisé sur labour, garantit une application sans perte par volatilisation et sans odeur. En plus d’enfouir le digestat, il travaille le sol et dispense ainsi d’un passage de tracteur lors de la préparation des terres », apprécie l’agriculteur. Le second équipement, une rampe à pendillards de 9 m d’envergure pourvue de patins, est retenu pour la fertilisation des prairies et le premier apport sur blé. Sa taille peut paraître faible, mais son mode de repliage arrière permet à l’automoteur de respecter une largeur au transport de 3 m. Les rampes à pendillards plus grandes se referment, en effet, le long de la cuve et ne rentrent pas dans le gabarit routier. « La petite envergure n’est pas contraignante. Comme le poids (16 t à vide + 16 t en cuve) est réparti par les trois roues sur la largeur de l’engin, le tassement du sol est limité. Il n’est donc pas gênant de répéter les passages dans les parcelles », remarque Thomas Leloup. Les performances de l’automoteur permettent ainsi de réaliser des apports plus tôt au printemps, afin de mieux rentabiliser le digestat. La SCEA n’apporte plus d’engrais chimique sur l’herbe et le maïs. Seul le blé reçoit encore de l’azote minéral.
En chantier décomposé pour les parcelles éloignées
Le Vervaet mesurant 3 m de large évolue à 40 km/h. « Il est particulièrement stable sur nos routes étroites. S’il vient à mordre la berme grasse, ses larges pneus le maintiennent sur la chaussée, alors que, dans cette situation, un tracteur avec une tonne s’expose davantage à partir au fossé. De surcroît, l’automoteur respecte davantage les entrées de champ en manœuvrant plus facilement grâce à son unique roue frontale tournant à l’équerre. Les fourrières sont aussi moins abîmées, surtout en conditions humides », apprécie Thomas Leloup. Malgré la bonne aptitude routière, l’agriculteur s’interdit de réaliser des trajets à plein de plus de 4-5 km avec l’automoteur. « Circuler en charge sur de longues distances use prématurément les pneus et la transmission hydrostatique. La consommation est aussi à prendre en compte, car le DAF de 450 ch absorbe en moyenne 30 l/h. » Pour les parcelles les plus éloignées, la SCEA a investi dans un caisson de ravitaillement de 50 m3 et s’organise en chantier décomposé. Le transport est confié à une ETA et l’automoteur assure l’épandage au champ. La présence à 1 km d’un îlot de 100 ha, par ailleurs, incité les exploitants à s’équiper d’une pompe et d’un enrouleur d’irrigation équipé d’un tuyau souple de 200 mm de diamètre. L’alimentation de la réserve tampon est dans ce cas opérée directement depuis la fosse de digestat. En chantier décomposé, l’agriculteur estime le débit d’épandage à 100 m3/h, contre 80 m3/h en chargement direct à la ferme pour les parcelles situées dans un rayon d’un kilomètre.
Chiffres clés
Concilier débit de chantier et respect des sols
Les unités de méthanisation poussent comme des champignons dans les campagnes, entraînant une forte augmentation des volumes de digestat à traiter. Leur épandage au champ fait l’objet de diverses organisations de chantier en fonction du parcellaire et des matériels disponibles. « Même s’ils représentent des investissements importants, les gros ensembles tracteur et tonne à lisier avec rampe à pendillards demeurent les plus économiques, avec des coûts de prestation relevés en Cuma allant de 2 à 2,50 €/m3 épandu et des volumes traités allant de 800 à 1 000 m3/j. Certains travaillent même en 3 x 8 », indique Jean-Marc Roussel, conseiller machinisme à la FDCuma 22. Le principal souci de ces équipements est le poids total à plein, qui dépasse largement la limite légale sur la route et entraîne une compaction des sols. « L’épandage sans tonne attire de plus en plus les agriculteurs sensibles au respect des sols. Cette technique est aussi intéressante en termes de débit de chantier, car nous épandons jusqu’à 1 100 m3/j, précise Nicolas Robillard, entrepreneur de travaux agricoles à Hénansal (Côtes-d’Armor) et fort de vingt ans d’expérience avec ce procédé. Un tracteur de 200 ch suffit, alors qu’une grosse tonne réclame 100 à 200 ch de plus. Equipé du télégonflage et d’une rampe à pendillards de 30 ou 36 m, l’ensemble pèse moins de 20 t. » Pour ses chantiers sans tonne, l’ETA pompe le digestat directement dans la fosse lorsque les parcelles sont regroupées autour de l’exploitation ou en présence d’un réseau d’irrigation. Elle a recours aux chantiers décomposés pour les champs éloignés en utilisant un caisson tampon de 30 m3 en bout de parcelle. « Comme l’installation et le démontage prennent chacun une heure, il faut au minimum 4 ha pour justifier la solution sans tonne. Pour alimenter le chantier, nos deux citernes à lisier de 23 m3, tirées par des tracteurs, suffisent dans un rayon de 3 à 4 km. Nous mettons jusqu’à 6 semi-remorques de 27 m3 chez un de nos clients où 25 km séparent l’unité de méthanisation de la zone d’épandage, indique l’entrepreneur. À partir de 7 à 8 km, les camions s’avèrent économiquement plus intéressants. Ils consomment moins de carburant, profitent d’un plus grand volume utile homologué et roulent plus vite. » Nicolas Robillard reconnaît cependant, qu’en chantier décomposé, la logistique de transport augmente le coût : 1 à 1,50 €/m3 par exemple dans un rayon de 2 à 4 km.
Vidéo : Antoine PassionAgri