Agriculture de groupe : fixer des règles pour gérer les désaccords
De la genèse d’un projet collectif à sa pérennité, c’est tout une organisation qui se met en marche. Les questions de relationnel sont une dimension à ne pas négliger, notamment pour gérer les divergences de vues.
De la genèse d’un projet collectif à sa pérennité, c’est tout une organisation qui se met en marche. Les questions de relationnel sont une dimension à ne pas négliger, notamment pour gérer les divergences de vues.
Avoir un bon projet collectif n’est pas une garantie suffisante pour qu’il aboutisse et soit pérennisé. Des points de vigilance sont à respecter pour prévenir les conflits et gagner en efficacité.
Formaliser pour prévenir les conflits
Dans les structures comme les Cuma ou les Geda, le point fondamental est d’établir un cadre juridique et des règles du jeu pour organiser le collectif. Cela passe notamment par la rédaction des statuts et du règlement intérieur pour asseoir le fonctionnement global de la structure et préciser le rôle de chacun, à commencer par celui du conseil d’administration et du bureau. Ils permettent aussi de clarifier les engagements des adhérents comme de la structure et de répartir les responsabilités. « L’objectif est de créer un espace de démocratie, avance Muriel Astier, responsable développement des compétences et formatrice chez Trame. L’organisation est vraiment un moyen de prévenir la plupart des conflits. » Ce cadre est parfois perçu comme une contrainte mais « ce sont ces règles qui vont ensuite assurer le bon fonctionnement du collectif », assure-t-elle.
Gare également aux relations familiales ou amicales que peuvent avoir les agriculteurs avant la constitution d’un collectif. « Ça ne remplace pas les règles qui permettent d’organiser la vie du groupe, prévient Yves Riou, fondateur d’Oxymore et agroéconomiste. Il ne faut pas entrer dans l’illusion que les bonnes relations ou la convivialité vont compenser un manque de projet commun ».
La structuration juridique d’un groupe est nécessaire mais pas suffisante d’après lui : « On va chercher à s’accorder sur beaucoup de choses mais il faut aussi se mettre d’accord sur ce qui n’entre pas dans le cadre collectif. » Il donne l’exemple du système agricole : les membres d’une Cuma peuvent décider que cet aspect reste en dehors de la dimension collective et que des exploitations conventionnelles et bio peuvent coexister dans la structure.
Organiser des réunions constructives
En plus des rendez-vous obligatoires comme les assemblées générales qui répondent à un formalisme bien établi, l’organisation des réunions doit également être formalisée. À quelle régularité on se rencontre ? Comment se déroulent ces réunions ? « Il ne faut pas hésiter à poser clairement les choses en identifiant qui sera en charge de la gestion de la réunion, de la prise de notes, de la rédaction du compte rendu… », avance Jean-François Garnier, médiateur au Centre de médiation professionnelle des Hauts-de-France.
La question de la prise de parole est souvent négligée, c’est pourtant un point clé pour éviter les frustrations et les incompréhensions. « L’organisation de la prise de parole est fonction de la taille du groupe », explique Jean-François Garnier. Plus le groupe est important, plus il faudra formaliser cet aspect. « Chacun doit pouvoir s’exprimer, sinon le risque est que ce soit toujours les mêmes qui prennent la parole », assure le médiateur. On peut aller jusqu’à déterminer le temps maximum d’une prise de parole. Il est important qu’il y ait un gardien du temps et de l’ordre du jour pour ne pas que la réunion s’éternise ou s’éparpille.
Autre conseil du médiateur : il peut être judicieux d’inciter les participants à réfléchir et à noter leurs idées ou remarques avant le tour de parole. Objectif : éviter d’être influencé par ce que vont dire les autres avant et oser s’exprimer.
Passer les caps difficiles
Les membres d’un groupe peuvent avoir les mêmes objectifs globaux. Pourtant, lorsque l’on travaille à plusieurs, on peut se retrouver en désaccord sur la manière de faire. Dès la constitution d’un collectif, lister les sources de conflits est une étape indispensable. « C’est assez contre intuitif mais il faut discuter en amont de la manière de faire quand il y aura un cap difficile à passer, assure Jean-François Garnier. C’est quand on est en paix qu’il faut discuter de ces aspects. »
Pour prévenir les conflits, une technique consiste à évaluer une à deux fois par an la situation via un questionnaire où chacun note trois points positifs et trois points négatifs. On rassemble ce qui revient le plus avant de trouver des solutions pour faire évoluer les choses. Il est possible de faire intervenir un médiateur pour mener ce travail.
Trouver le bon mode de décision
Il existe plusieurs modes de décision dans un collectif. Le plus courant en France est celui de la majorité… et qu’importe le mécontentement de la minorité. Sauf que cela peut nuire au projet. Il existe une autre méthode basée sur le consentement qui organise les choses en deux temps. Après la présentation d’un projet en réunion, on organise un tour de table avec l’ensemble des participants pour connaître leurs questions et leurs objections. « Les objections ne peuvent pas être basées sur un simple sentiment ou une opposition de principe, les remarques doivent être argumentées par des faits, des chiffres, pour être recevables », avance Jean-François Garnier. Le projet est ensuite amendé et orienté en tenant compte des remarques. La décision finale est prise quand il ne reste plus d’objections.
Ce processus implique de faire appel à une personne extérieure pour mener les échanges ou, au minimum, de se former pour les décideurs du groupe. « Le point clé en collectif est d’écouter et de savoir rendre la parole », estime le médiateur.
Interview
"Nous avons réussi à créer un climat de confiance"
Dans le Calvados, la dynamique collective a permis de faire émerger une filière à l’échelle du territoire. Une trentaine d’éleveurs et de céréaliers ont bâti un système d’échanges luzerne-fumier doté d’un outil de déshydratation qui va voir le jour en 2023. Vincent Barbot, président de Secoppa, l’association créée pour structurer le projet, nous en dit plus.
1 Comment s’est structuré le projet ?
Le projet est né en 2016 lors d’échanges informels sur le terrain entre éleveurs et céréaliers adhérents de Cuma. Rapidement, nous avons eu besoin de structuration pour faire avancer le projet et bénéficier d’aides. Une association a été créée, ainsi qu’une Cuma dédiée pour la récolte, puis une Sica pour la commercialisation. Nous avons été accompagnés par la FRCuma de l’Ouest pour travailler sur la dimension économique et par la chambre d’agriculture pour créer des références dans les calculs de ration intégrant de la luzerne.
2 Quels ont été les freins ?
Il a fallu créer les conditions pour favoriser les échanges entre éleveurs et céréaliers dont les intérêts peuvent être divergents. Au départ, chacun cherchait à tirer la couverture, mais en échangeant, nous avons pris conscience de l’intérêt de constituer une filière qui apporte une source de protéines locales pour les éleveurs et une nouvelle culture dans la rotation avec des bénéfices agronomiques pour les céréaliers. Les discussions ont notamment porté sur la qualité de la luzerne pour répondre aux besoins des éleveurs et les prix de la luzerne et du fumier.
3 Comment s’organise la vie du collectif ?
Nous avons réussi à créer un climat de confiance : le nombre d’adhérents qui a rejoint la Sica à sa création nous a agréablement surpris. Nous avons soigné la rédaction des statuts pour sécuriser le projet, notamment la durée d’engagement et les critères d’échanges de la luzerne et du fumier. Nous avons créé un site internet et une lettre d’info, réalisée par la FRCuma, est envoyée régulièrement aux adhérents pour qu’ils aient tous le même niveau d’informations.