Christian Huyghe, directeur scientifique Ag riculturede l’Inra
Agribashing/Christian Huyghe (Inra) : « Il faut un nouveau contrat social entre les agriculteurs et la société »
Pour le chercheur, l’agribashing reflète une contestation par la société de certaines formes d’agriculture, imposant de repenser l’équilibre entre impact environnemental et performance économique.
Pour le chercheur, l’agribashing reflète une contestation par la société de certaines formes d’agriculture, imposant de repenser l’équilibre entre impact environnemental et performance économique.
Des agriculteurs ont le sentiment que les produits phytosanitaires sont indûment remis en cause car ils disposent d’une autorisation de mise sur le marché validée scientifiquement. Que vous inspire cet appel à la science ?
Si vous prenez les pesticides en général, ce que l’on documente de mieux en mieux c’est qu’ils ont un impact sur l’environnement et la santé humaine. C’est pour cela qu’il y a des recommandations pour se protéger et en utiliser le moins possible. La science permet d’évaluer ces impacts, sachant que l’expertise scientifique s’appuie sur ce qui est connu à un moment donné. C’est donc susceptible d’évoluer avec de nouvelles connaissances. Décider si cet impact a un niveau acceptable est une décision politique au sens noble du terme. Cette responsabilité est aujourd’hui portée par l’Anses, qui décide sur la base de la balance bénéfices/inconvénients au regard d’un consensus sociétal. La science peut apporter de l’expertise, destinée à éclairer la décision.
C’est un choix sociétal et non scientifique ?
Oui et non. Ce qui met aujourd’hui en tension l’agriculteur et le reste de la société, c’est la tension entre les performances productive et environnementale. L’hypothèse largement partagée est que la relation entre les deux est négative. On parle ainsi de « limiter l’impact sur l’environnement ». Cette phrase est terrible car elle légitime les impacts comme un mal inévitable. On vit aujourd’hui avec un contrat social datant des années cinquante qui a confié à l’agriculture la mission de permettre à la société de manger à sa faim, avec des produits de qualité en ne payant pas trop cher, contrat que les agriculteurs ont totalement rempli. Aujourd’hui, l’autosuffisance alimentaire de l’Europe est assurée, mais la société n’est plus prête à accepter certaines choses. Derrière l’agribashing, il y a un questionnement de la société qui conteste certaines formes d’agriculture. Il faut un nouveau contrat social repensant l’équilibre entre impact environnemental et performance économique, que la science peut éclairer. Les États généraux de l’alimentation auraient pu être l’occasion de jeter les bases de ce nouveau contrat.
N’est-ce pas prôner un retour en arrière ?
Il ne faut pas nier les apports de la transition technologique qui s’est opérée pendant les trente glorieuses, ni revenir à l’agriculture des années cinquante. Il y avait 2,3 millions d’exploitations agricoles en France en 1960, 360 000 aujourd’hui. Nous ne reviendrons pas à cette situation-là. Pour les systèmes de production de demain, l’objectif est de mobiliser les processus et régulations biologiques là où on a favorisé la chimie (engrais, phytos), anthropisé les milieux pour rechercher des économies d’échelle. L’agroécologie, c’est considérer une culture comme un écosystème où vous avez des plantes, un sol, de nombreux micro-organismes. La recherche s’attelle à savoir comment faire travailler cet écosystème au service de l’agriculteur. Les découvertes sur les microbiotes des plantes ou encore l’impact de la taille des parcelles sur la biodiversité ouvrent des perspectives intéressantes, mais complexes. Il faut comprendre comment accompagner les agriculteurs pour que ce qui est plus complexe ne devienne pas trop compliqué. Et si on demande aux agriculteurs de rendre des services de production et des services environnementaux, qu’est-on prêt à payer pour ça ?