Les leviers pour gagner en autonomie alimentaire
Pour être économiquement gagnante, la recherche d'autonomie doit faire la chasse aux gaspillages. Attention aussi à la productivité du système et aux charges de mécanisation.
Pour être économiquement gagnante, la recherche d'autonomie doit faire la chasse aux gaspillages. Attention aussi à la productivité du système et aux charges de mécanisation.
Le prix des matières premières a tendance à augmenter et surtout à être plus volatil. Entre 2008 et 2014, le coût alimentaire a fluctué dans un rapport de 1 à 1,5, selon un calcul du BTPL (Bureau technique de promotion laitière). D'où l'intérêt de maîtriser davantage ses charges alimentaires, en dépendant moins d'achats extérieurs.
"En France, l'élevage bovin laitier est relativement autonome en alimentation, du moins pour les fourrages, en comparaison d'autres pays. Une situation favorisée par la gestion des quotas laitiers à la française. Ce qui était une faiblesse à l'époque (moindre productivité à l'hectare et du travail) est devenue une force aujourd'hui", souligne Cécile Le Doaré, du Cniel. Le coût alimentaire moyen français (hors charges de mécanisation !) est compétitif par rapport à d'autres pays européens, grâce au pâturage et à une bonne autonomie fourragère. L'autonomie va aussi de pair avec l'amélioration de l'empreinte environnementale. Mais l'agrandissement des élevages, qui produisent plus de lait sans forcément avoir repris du foncier, met parfois à mal l'autonomie.
Trouver un optimum pour une autonomie à coûts maitrisés
Faut-il chercher l'autonomie à tout prix ? "Non, on ne prône pas l'autonomie pour l'autonomie. Le but est d'améliorer les performances économiques. Il faut partir de l'efficacité technique et économique que vous visez, et calculer comment l'autonomie peut jouer. Une très forte autonomie réduit vos possibilités d'intensification à l'animal ou à la surface. L'autonomie peut conduire à des charges de mécanisation plus importantes", précise Cécile Le Doaré. L'Institut de l'élevage, en comparant des coûts de différents pays (lire ci-après), met en évidence que les exploitations françaises ont une autonomie coûteuse. Il y a des marges de progrès pour réduire ce coût. En fonction des contraintes de son exploitation (surface, nature de sol, travail), on se demandera ce qu'il vaut mieux cultiver et autoconsommer. Ce qu'il vaut mieux cultiver mais faire récolter par entreprise. Ce qu'il vaut mieux acheter...
La chasse au gaspillage est ouverte !
"On constate qu'il y a beaucoup de gaspillage, de concentrés, et des prairies. Il faut déjà travailler là-dessus : ajuster les quantités de concentrés, équilibrer les rations, et valoriser au mieux ses prairies pour en tirer de meilleurs rendements et une meilleure qualité alimentaire", résume Cécile Le Doaré.
Le premier levier d'amélioration de l'autonomie se situe au niveau de l'animal, pour éviter de gaspiller des fourrages et du concentré. Avant de toucher aux concentrés, la première question concerne la ration de base : couvre t-elle bien les besoins des animaux ? Est-elle équilibrée ? Quelle est la qualité des fourrages ? Peut-on augmenter la part des fourrages dans la ration ? Le Cniel met en avant un repère, le ratio PDIE/UFL. Si la ration est à plus de 110 g, il y a un excès protéique. On peut déjà réduire le correcteur azoté. Le retrait d'1 kg de tourteau de soja ou de 1,5 kg de tourteau de colza réduira le ratio de 10 g. Si la ration se situe entre 95 et 105 g, on peut améliorer l'autonomie en concentrés. Si la ration est à moins de 90 g, il y a un déficit protéique. On peut réadapter la ration, puis améliorer la valeur des fourrages.
L'optimisation de la conduite du troupeau (taux de renouvellement, âge au vêlage des génisses) aura un impact positif.
Produire plus de protéines par les fourrages
Le deuxième levier se situe au niveau de la production fourragère. "Il faut adapter aux contraintes de l'exploitation un système fourrager qui amène énergie et protéine", souligne Cécile Le Doaré, du Cniel. Récolter des méteils est un levier pour combler un déficit fourrager régulier. Le sorgho est une alternative au maïs ensilage en conditions séchantes. L'observatoire de l'alimentation (1) montre une diminution de la part du pâturage dans l'alimentation des bovins lait, alors même que c'est l'aliment le plus économique ! Et qu'il répond à d'autres objectifs (environnement, paysage, qualité des sols...). Souvent décrié parce que demandant plus de travail et étant plus complexe à conduire, l'exploitation de l'herbe est délaissée ou pas suffisamment optimisée.
Dans tous les systèmes, de la plaine à la montagne, avec peu ou beaucoup de maïs ensilage dans la ration, l'observatoire pointe l'insuffisante couverture des besoins en azote par les fourrages. On cherchera à valoriser au mieux le pâturage : ajuster les surfaces aux besoins des animaux, parcourir régulièrement les prairies et respecter le temps de repousse pour pâturer au bon stade et éviter les refus. On cherchera à récolter à des stades plus précoces, pour améliorer le rendement et la qualité alimentaire des prairies. On introduira des légumineuses dans ses prairies. On essayera les mélanges suisses. On cultivera de la luzerne ou des prairies de trèfle violet… Dans les régions où la production d'herbe et la réussite des récoltes est plus aléatoire, on cherchera à sécuriser ses stocks, par exemple en séchant ses fourrages. "Il est économiquement plus performant d'améliorer l'autonomie protéique par les fourrages, que par la voie concentré. Et attention, le message ce n'est pas il faut que vous fassiez plus d'herbe. C'est plutôt de tirer le maximum de vos surfaces en herbe."
Une fois qu'on a réduit ses besoins en concentrés, on peut essayer d'actionner le troisième levier, la production des concentrés. Est-ce que je produis des concentrés sur la ferme et lesquels ? Les exploitations de polyculture-élevage n'utilisent souvent pas assez leur potentiel, principalement pour des raisons d'organisation du travail. Faut-il faire du maïs ensilage et produire des oléo-protéagineux, ou plutôt reconquérir l'herbe, la luzerne, et produire un concentré énergétique (maïs épi ou maïs grain humide) ? La culture de blé, maïs grain, triticale, sorgho, orge, présente un autre intérêt. En cas de déficit fourrager, les céréales se prêtent à la récolte sous forme d'ensilage. Si on dispose des surfaces, on peut cultiver des oléo-protéagineux (pois, féverole, lupin, soja) pour produire son correcteur azoté. Ils auront aussi un intérêt agronomique.
(1) L'Observatoire de l'alimentation des vaches laitières est issu d'un travail du Cniel, l'Institut de l'élevage et le réseau d'élevage Inosys des chambres d'agriculture.Vous trouverez les neuf fiches éditées par le Cniel sur xxxxxxL'autonomie alimentaire en chiffres
Un réseau de trente élevages bovin lait
L'Institut de l'élevage a lancé Autosysel, un programme qui vise à améliorer la valorisation des ressources produites sur les élevages, et limiter leur dépendance aux matières premières extérieures. Les deux axes principaux sont l'amélioration de l'efficacité alimentaire et l'augmentation de l'autonomie alimentaire et notamment protéique des élevages. Ce programme repose sur un réseau de 105 élevages, dont 30 en bovin laitier, qui testent des adaptations. Ce travail doit déboucher sur un outil internet en 2016, pour que toute exploitation puisse se situer sur l'autonomie alimentaire, et se voir proposer des leviers d'action. Des fiches leviers seront également diffusées.
Une autonomie qui coûte cher
Par rapport à nos voisins européens, l’avantage lié à notre forte autonomie est renversé par de fortes charges de mécanisation et une moindre productivité du travail.
L’Institut de l’élevage a comparé les coûts de production des exploitations laitières spécialisées de plusieurs pays du monde à celui des exploitations françaises de Bretagne-Pays de la Loire. Cette comparaison fait ressortir une forte autonomie alimentaire des exploitations françaises de l’Ouest. Elles se retrouvent dans le trio de tête, aux côtés des exploitations néo-zélandaises et irlandaises. En 2012, maximum historique du prix de l’alimentation animale, leurs dépenses en achat d’aliments se chiffrent à 67 E/1000 litres. Un montant comparable à celui des élevages néo-zélandais et même inférieur de 20 E/1000L à celui des élevages irlandais, en raison des différences de productivité (7100 l/vache dans l’Ouest français contre 4 100 en Nouvelle-Zélande et 5300 en Irlande). Mais en France, le « coût » de cette autonomie, autrement dit la production d’une large fraction de l’alimentation des vaches, est plus élevé qu’en Irlande et en Nouvelle-Zélande qui ont des systèmes basés sur le pâturage.
Des frais de mécanisation élevés par rapport à la densité laitière à l’hectare
"Les élevages d’Europe du Nord achètent deux fois plus de concentré que les élevages français. Mais cet avantage sur nos concurrents d’Europe du Nord est largement repris par le coût des fourrages, a souligné Christophe Perrot de l’Institut de l’élevage aux journées 3R en décembre dernier. On produit des fourrages sous une forme coûteuse : avec beaucoup de charges de mécanisation (bien plus qu’en Irlande comme le montre le graphique) et sur des hectares qui ne produisent pas beaucoup de litres. Il ne s’agit pas forcément d’un suréquipement massif mais d’un équipement important par rapport à la densité laitière à l’hectare. En France, on produit en moyenne 7 000 l/ha alors qu’en Allemagne on est à 10 000 l/ha et aux Pays-Bas entre 15 et 30 000 l/ha."
Autre conséquence de cette forte autonomie : "elle pénalise la productivité du travail - le nombre de litres de lait produit par unité de main-d’oeuvre - puisqu’elle intégre de fait des tâches fourragères."
Au final, les exploitations laitières de l’Ouest dépensent 41 E/1000 litres d’achats d’aliments en moins que celles d’Allemagne du Nord. Mais cet avantage est renversé par le coût d’équipement (+ 30 E environ) et du travail (+ 60 E) consacré à la culture de la production fourragère. "L’autonomie coûte cher aux exploitations françaises, ou elle n’est pas assez valorisée sur le marché auprès des consommateurs", conclut-il.