Commercialisation des grains : établir un cadre de gestion pour sécuriser ses décisions
Il est indispensable d’élaborer au calme une stratégie de commercialisation avant la campagne pour être réactif et rationnel au moment de décider de vendre ou non.
Il est indispensable d’élaborer au calme une stratégie de commercialisation avant la campagne pour être réactif et rationnel au moment de décider de vendre ou non.
Vendre ou ne pas vendre, telle est la question. Tout agriculteur qui commercialise une partie de sa récolte à prix ferme se la pose plusieurs fois par campagne. Apporter la bonne réponse nécessite de s’être préparé en amont, en balisant le terrain avec la formalisation de sa stratégie commerciale, ou cadre de gestion.
« Quand on est seul, le cadre de gestion permet de se sortir de l’émotion dans la prise de décision. Il est aussi un outil dans la gestion humaine lorsque l’on travaille à plusieurs », explique Constant Thirouin, consultant chez Piloter sa ferme. La stratégie doit cadrer les règles de décisions à appliquer dès le semis, y compris les volumes à vendre avant moisson sans se mettre en danger d’engagement excessif.
Concrètement, « il faut écrire ce que l’on va faire, et faire ce que l’on a écrit, en déterminant des objectifs de prix et en s’imposant des volumes mini et maxi à engager par grande période de la campagne selon les moments clés du marché », résume Laurent Gaonac’h, fondateur du cabinet Cerexpert. Élaborer son cadre de gestion permet de dissocier la réflexion de l’action, évitant les tergiversations ou les intuitions au doigt mouillé lorsque se pose la question de vendre. Il doit structurer la décision, y compris quand le prix se situe en dessous du coût de production.
L’exercice, à réaliser au calme, consiste à clarifier ses objectifs en intégrant toutes les caractéristiques de l’exploitation et en listant les outils à disposition, tels les options. « Lorsque l’opportunité de vendre se présente, il faut au préalable avoir fixé un maximum de variables, recommande Mikaël Juchet, responsable du service Mes Marchés à la chambre d’agriculture du Loiret. Quand on a bien réfléchi en amont, il devient beaucoup plus facile d’agir. »
Premier impératif : calculer ses coûts de production et le revenu visé. Cela détermine le chiffre d’affaires à dégager sur la ferme, que l’on convertit en prix à atteindre par culture sur la base du rendement historique : c’est le seuil de commercialisation. Si le marché atteint rarement ce repère, il faudra être capable de saisir l’opportunité de vente dès qu’elle se présente. Raison de plus pour ne pas trop réfléchir lorsque cela arrive.
On doit ensuite lister les contraintes de l’exploitation : quelle est la date limite pour libérer un bâtiment de stockage ? Quand y a-t-il des sorties de trésorerie importantes ? Bien connaître les potentialités des OS de son secteur permet souvent de gagner en liberté d’action. « Pour les principales cultures, tout agriculteur a accès à des OS qui proposent des outils pour dissocier la fixation du prix de la logistique et du paiement, comme la mise en dépôt, les avances de trésorerie… On peut ainsi livrer en juillet, être payé en octobre et fixer les prix en décembre », rappelle Constant Thirouin.
Il est préférable de coucher sa stratégie par écrit. « Cela peut être une feuille A4 que l’on affiche au-dessus de son bureau, sur laquelle on écrit le seuil à atteindre, l’objectif de prix mini et l’objectif supérieur si tout se passe bien, les dates clés avec les sorties de trésorerie importantes et la logistique… La stratégie n’est pas forcément quelque chose de très compliqué », affirme Mikaël Juchet, qui recommande également de ne pas s’enfermer dans une approche purement comptable de la performance prix. « Derrière les chiffres, il faut mettre des objectifs très concrets : emmener sa famille en vacances, transmettre la ferme à ses enfants, réaliser un investissement… Sans quoi il peut être difficile d’appuyer sur le bouton au bon moment. »
La simplicité n’exonère pas d’une organisation rigoureuse, selon l’expert : « tout doit être défini à l’avance : à quelle fréquence je vais regarder le marché ? Avec qui vais-je travailler pour l’analyse, pour vendre ma récolte ? Quel outil pour enregistrer mes ventes et calculer mon prix moyen ? Comment être alerté lorsque les prix approchent de valeurs clés ? »
Néanmoins, il faut être capable d’évaluer régulièrement sa stratégie de commercialisation en la confrontant aux nouvelles données de marchés et l’adapter si nécessaire. « Il faut se tenir à son objectif de vente, sauf si quelque chose vient remettre en cause la stratégie, indique Laurent Gaonac’h. Si j’ai un objectif de 400 euros la tonne pour la récolte 2023, mais que l’on stagne à 395 €/t avant de redescendre à 390 €/t et que la tendance de marché est baissière, il ne faut pas se focaliser sur un objectif de prix trop élevé et manquer une fenêtre de vente pour quelques euros à la tonne. »
Évaluer son cadre de gestion
On peut réviser son cadre de gestion chaque année, en intégrant les nouveaux scénarios que l’on a rencontrés. « Attention toutefois à ne pas piloter au rétroviseur, en changeant sa stratégie uniquement sur la base de ce qui s’est passé l’année précédente », met en garde Laurent Gaonac’h, chez Cerexpert.
Pour jauger sa performance, situer ses ventes sur la courbe retraçant l’évolution des prix permet de visualiser où l’on a vu juste et où on s’est trompé. Mais le prix moyen n’est pas le seul élément qui compte : « on peut obtenir un bon prix moyen en ayant été exposé à des risques importants, par exemple en vendant massivement en fin de campagne à 400 euros la tonne sans s’être protégé avec des options, indique Mikaël Juchet, de la chambre d’agriculture du Loiret. La stratégie se juge aussi sur le niveau de risque pris tout au long de la campagne. »