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Comment se renouvelle le marché aux bestiaux de Rabastens

Dans les Hautes-Pyrénées, le marché aux bestiaux de Rabastens, en perte de vitesse depuis des années, cherche une deuxième jeunesse. La municipalité a confié les clefs à Elvea Pyrénées qui a transformé le marché de fond en comble… Visite au parc du Val d’Adour.

Il fait gris ce matin de novembre, voilà qui tranche avec l’été indien de cette année 2022 qui s’est prolongé au-delà du raisonnable pour la végétation. Rabastens de Bigorre est un point d’ancrage dans ce paysage de petites collines posées sous le regard des Pyrénées qui portent leurs toutes premières neiges. Le village, 1 500 habitants, doit une partie de sa réputation à son marché aux bestiaux qui voyait passer 2 000 têtes par semaine il y a vingt ans, comme Trie-sur-Baïse non loin, réputé pour son marché aux cochons. Les halls sont encore vides en ce début de matinée, le marché se tiendra tout à l’heure, après le déjeuner. Directeur d’Elvea Pyrénées, Pierre Bazet attendait devant l’entrée du bâtiment et entame la visite. Ici le bureau où les éleveurs sont reçus et délivrent les papiers des animaux, là le restaurant où les tables sont en train d’être dressées, là encore une petite salle avec un écran, les fenêtres sont occultées pour la confidentialité, puis nous sortons sous un des halls. Les premiers boxes que nous croisons sont destinés au marché aux ovins qui se tiendra quelques jours plus tard, il faut en faire le tour pour atteindre l’espace dévolu aux bovins qui commence à se remplir. Les éleveurs attendent, bavardent entre eux ou regardent les animaux qui descendent des bétaillères.

Beaucoup de convivialité

« Il y a avait un moment qu’il n’y avait pas eu autant d’animaux à Rabastens », souffle Pierre Bazet qui surveille tout son monde du coin de l’œil, essaye de s’assurer que tout roule sans anicroche. « Les éleveurs arrivent avec leurs animaux, nous confient les papiers puis vont décharger et faire leurs lots, selon leur choix. Ils peuvent aussi se faire conseiller s’ils ont des doutes », ajoute le directeur. Une fois les animaux en place, tout le monde se retrouve au restaurant pour le déjeuner avant le début de la vente. Elle est menée par Daniel Tamalet qui conduit le groupe d’acheteurs à travers les boxes. Chacun a dans sa poche un boîtier avec un bouton qu’il peut presser pour enchérir, par pas de 10 euros.

Dans le restaurant, les enchères sont retransmises en direct et suivies d’un œil attentif entre poire et fromage. À chaque lot un éleveur se lève et rejoint la technicienne d’Elvea dans la petite salle occultée pour suivre ses enchères. Et décider s’il vend ou non. Les invendus du premier tour sont représentés en fin de vente, et s’il reste des animaux sur le carreau, il se trouve toujours alors une bonne âme pour remettre acheteurs et vendeurs en contact pour éviter que les animaux ne repartent sur les exploitations.

Tour des marchés

Le premier marché « nouvelle formule » s’est déroulé le 22 février 2022 avec un peu plus d’une centaine de veaux. Six mois plus tard, le jour de notre visite, ce sont 200 animaux qui étaient au rendez-vous. L’intérêt grandit dans le secteur, même s’il faut « presque appeler les éleveurs un par un pour les convaincre de venir présenter leurs animaux », explique Gilbert Pailhé, président d’Elvéa Pyrénées qui a mis à la main à la pâte toute la matinée pour trier les animaux.

Si la rigueur est un combat quotidien, il reste encore du chemin à parcourir. « Il faut aussi que les éleveurs fassent l’effort d’annoncer les animaux le vendredi avant les jours de marché pour que nous puissions, nous, mobiliser les acheteurs, qu’ils sachent à quoi s’attendre lors de la vente, qu’ils sachent qu’ils pourront travailler, mais aussi que les animaux soient correctement vaccinés et que toutes les informations circulent pour que les engraisseurs n’aient pas à revacciner à l’arrivée des animaux dans les ateliers et qu’ils amènent des animaux conformes avec ce que le marché attend en termes de poids et de conformation », ajoute Pierre Bazet qui estime que ce chemin est le seul qui puisse réinstaller le marché de Rabastens durablement dans le paysage.

« Nous aimerions maintenant que les petits négociants, les rabatteurs en somme, puissent aussi se servir du marché et venir y vendre leurs lots d’animaux aux exportateurs », plaide-t-il encore. Parce que plus il y aura d’animaux, plus les frais pourront être écrasés, ils sont aujourd’hui de 1 % de la vente hors taxe pour le vendeur et pour l’acteur auquel s’ajoutent un euro de frais d’assurance et 20 centimes pour le lavage.

Un lieu de rencontres

Gilbert Pailhé, président d’Elvea, est satisfait du marché, en particulier pour les jeunes qui ne sont pas formés au commerce du bétail. « Je voulais aussi que mon fils, qui vient de s’installer, puisse vendre ses animaux sereinement, sans pression » poursuit-il.

De l’autre côté des camions, nous croisons Christian Cazenaves, Alliance Occitane, un des acheteurs les plus actifs sur le marché de Rabastens nouvelle formule. « Oui c’est vrai, cela change les habitudes et il faut du temps pour s’adapter même si notre profession a un peu vieilli, reconnaît-il, nous ne sommes plus dans le même contexte qu’il y a cinquante ans. » Pour autant, il a vite saisi l’intérêt pour son entreprise qui commercialise un peu plus de 30 000 broutards par an, exportés, et 15 000 gros bovins. « Je crois aujourd’hui que 20 % des animaux que j’achète ici viennent de ma clientèle, donc sans ce marché, ou celui d’Agen auquel je participe, je n’aurais pas acheté les 80 % restants. » Sans même parler des kilomètres et du temps épargnés… Et Pierre Bazet de conclure en montrant la troupe d’éleveurs au cul des camions : « vous voyez, les éleveurs sont là. Ils se rencontrent, ils peuvent évoquer leurs problèmes ensemble, c’est aussi un des intérêts du marché ».

La clé, la confidentialité

Le choix de la criée

 

 

 

Depuis deux ans que l’association d’éleveurs a repris le marché, il s’est passé pas mal de choses sous les halls. « La mairie nous a contactés pour reprendre le marché qui était devenu lourd à gérer pour eux », explique Pierre Bazet, directeur d’Elvea Pyrénées. « Nous avons donc monté un projet et puis il y a eu le Covid et le changement de municipalité avec les élections. Mais la nouvelle équipe a maintenu son engagement. La mairie voyait que les apports baissaient jusqu’à se tarir. » Pour la première année, les différents partenaires observent un statu quo de temporisation. « Les négociants ne voulaient pas changer le mode de fonctionnement du marché, nous avons donc continué comme avant. Mais nous en avons aussi profité pour faire le tour des grands marchés de France, de Mauriac à Sancoins en passant par Laissac », poursuit Pierre Bazet. Voir comment les autres font pour changer Rabastens.

Transparence, anonymat et paiement

C’est le fonctionnement de la criée qu’ils ont finalement retenu. C’est là que Pierre Bazet résume le credo de l’aventure par un acronyme obscur tant qu’il n’est pas explicité. TAP, pour transparence, anonymat, paiement. « La transparence, parce que toutes les informations sanitaires sont affichées, les acheteurs savent si les animaux sont vaccinés ou non, les défauts sont annoncés, ils achètent en connaissance de cause. L’anonymat, c’est la clé parce que personne ne sait qui vend et qui achète, l’acheteur n’a plus de moyens de pression sur le vendeur, c’est plus sain. Le paiement, car nous réglons les animaux à cinq jours, c’est notre engagement… »

Un montage juridique nouveau

Pour reprendre le marché, il a fallu imaginer un montage juridique nouveau. Il y a d’abord eu la constitution de la SAS du marché du parc du Val d’Adour qui rassemble l’organisation de producteurs ELVEA Pyrénées, des éleveurs des départements des Hautes-Pyrénées, des Pyrénées-Atlantiques, de Haute-Garonne et du Gers, la chambre d’agriculture et les commerçants en bestiaux. Elvea a injecté 80 000 euros de ses fonds propres dans la SAS. Le reste a été apporté par les organisations de producteurs, les éleveurs, les négociants, les institutions… Cette SAS est actionnaire de la Société d’économie mixte à opération unique (Semop) gestionnaire de la concession du parc du Val d’Adour, elle en détient 66 % les 34 % restants étant propriété de la commune de Rabastens. LVA rassemble environ 500 éleveurs sur le département des Hautes-Pyrénées et les cantons limitrophes, les trois quarts en bovins et le reste en ovins.

Une nouvelle formule qui plaît

La satisfaction domine du côté des éleveurs qui viennent au marché de Rabastens nouvelle formule. Quelques témoignages en attestent.

 

 
Romain et Régis Abbadie estiment entre 10 et 20 % de plus le prix qu’ils retirent au marché par rapport aux achats en ferme pour leurs veaux de 300 kilos.
Romain et Régis Abbadie estiment entre 10 et 20 % de plus le prix qu’ils retirent au marché par rapport aux achats en ferme pour leurs veaux de 300 kilos. © Y. Kerveno

 

Difficile de trouver éleveur mécontent pendant que se déchargent les animaux au bout du quai. Qu’ils viennent de près ou de loin, les témoignages sont unanimes. « Vous voulez trouver quelqu’un de mécontent ? Vous aurez du mal, ceux qui ne sont pas contents ne viennent pas », lache un éleveur en rigolant.

« C’est plus facile et on gagne mieux », disent-ils tous, en substance. Jérôme Fourquet est venu de Saint-Laurent de Neste, à l’est du département, pour vendre des veaux limousins. « Depuis que je viens ici, j’ai gagné en moyenne 170 euros par veau par rapport à une vente à la maison, j’arrive même à les vendre sensiblement au même prix que les veaux blonds qui sont pourtant les stars du coin », explique-t-il. Albert Matheu est venu de plus loin, de Dugnein, du côté de Navarrenx en Béarn. Ce matin, c’est la quatrième fois qu’il vient, la première avec un veau, bravant les 106 kilomètres qui séparent son élevage de Rabastens. « Je suis venu pour voir ce que ça donnait. Et j’ai vu qu’on pouvait gagner en moyenne 100 euros par veau. Mais il faut que je m’équipe pour pouvoir transporter les veaux, je n’ai pas de bétaillère », explique-t-il.

Un paiement dans la semaine

Un peu plus loin dans la travée, Stéphane Cazenavette est venu de Serre-Lanso, dans les Hautes-Pyrénées. Il calcule : « je descends en tracteur, il me faut plus d’une heure et demie et ça me coûte environ 15 euros par tête. Mais comme on gagne 100 euros par veau, ça fait un bénéfice de 85 euros par rapport à une vente à la maison, et en plus on est payé dans la semaine, c’est vital aujourd’hui ! »

Régis et Romain Abbadie, du Gaec Dubernet, attendent pour déposer les passeports des douze veaux qu’ils ont convoyés depuis leur élevage, un troupeau de 200 mères blondes d’Aquitaine, sur le plateau de Lannemezan. À Rabastens ils amènent des veaux de 300 kg en moyenne. « C’est un marché qui était en train de mourir mais là, cela repart très bien », témoigne Régis Abbadie, le père. « On vient tous les quinze jours en moyenne, on fait les lots à la maison à l’avance et au final en prix, on fait entre 10 et 20 % de mieux qu’à la maison. » Une performance qu’ils attribuent à l’anonymat des enchères et à l’absence de confrontation entre le vendeur et l’acheteur, "même s’ils ne m’ont jamais impressionné."

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