Drone : lâcher les freins
Le déploiement des drones en viticulture n’est pas favorisé par la réglementation française. Nous pourrions bien être en train de rater un virage technologique…
Le déploiement des drones en viticulture n’est pas favorisé par la réglementation française. Nous pourrions bien être en train de rater un virage technologique…
Cela peut porter à sourire, mais en matière de drones, la France est pionnière… dans la réglementation ! Il faut dire que l’enjeu est de taille. « Il s’agit d’une menace asymétrique, rappelle le colonel Christophe Michel, de la Défense nationale. La sécurité de notre pays est en jeu. » Il n’empêche, lorsque l’on est professionnel et que l’on souhaite utiliser ces technologies de pointe, cela relève du parcours du combattant. Car dès que l’on sort du cadre des loisirs, plusieurs obligations s’imposent. Celle de former le télépilote tout d’abord. Et comme il n’existe pas de cursus spécifique pour ces catégories d’engins, c’est le permis relatif aux ULM qui s’applique. À cela s’ajoute l’impératif d’immatriculer son appareil et de déclarer les plans de vol. La loi stipule également que le pilote doit garder l’appareil en vue (ou à moins d’un kilomètre pour les plus petits), ce qui exclu de fait les interventions automatisées ou de nuit. Et pour les drones supérieurs à 25 kg, tout cela se complexifie encore… Il y a d’ailleurs peu de chance que l’on aille vers une simplification, puisque la France réfléchit à un système de signalement obligatoire, à l’instar des dispositifs IFF (pour les avions) et AIS (sur les bateaux), de même qu’à un système d’assurance, lui aussi imposé, comme pour les voitures.
Le règlement européen est en préparation
Toutefois, la réglementation devrait rapidement évoluer, en devenant communautaire dans les prochaines années. La mise en application est attendue pour 2021. Les premières négociations sont en cours et laissent entrevoir quelques similitudes avec nos exigences nationales, notamment sur l’enregistrement, la classification des usages en fonction de la densité de population et le signalement obligatoire pour les drones de plus de huit cents grammes. Mais il est fort probable que le législateur européen laisse une certaine flexibilité aux États membres. C’est d’ailleurs dans ce sens que milite Richard Thummel, directeur adjoint de l’Aviation civile. « On ne peut pas donner à la Finlande, qui a principalement des troupeaux de mammifères à surveiller, le même cadre que les Pays-Bas qui sont sururbanisés. » Que fera alors la France de cette souplesse ? Vu le contexte de tension vis-à-vis du terrorisme, il est peu probable qu’elle aille dans le sens d’une libéralisation.
En attendant, un autre problème freine le développement des drones en viticulture. Il s’agit de la réglementation de 2015, prohibant l’épandage de produits phytosanitaires par voie aérienne. Car le drone tombe sous le joug de cette loi. De fait, la technique n’a jamais été vraiment étudiée, et l’on manque aujourd’hui cruellement de connaissances sur le sujet. Ce qui est regrettable car les perspectives sont enthousiasmantes : cet outil permettrait d’éloigner l’applicateur des produits, de travailler de façon automatique à un mètre au-dessus des rangées (sans compactage du sol), et de mécaniser les fortes pentes (sans le bruit et la mauvaise réputation de l’hélicoptère). « La démonstration de traitement que j’ai pu voir sur vigne il y a deux ans n’a été très concluante, note Gilles Barge, ancien président de l’ODG côte-rôtie et référent drone pour le nord de la vallée du Rhône. Mais celle à laquelle j’ai assisté cette année en Suisse était beaucoup plus probante. »
Une filière entière qui reste sur le carreau
De fait, les appareils sont de plus en plus performants. Fort de plusieurs années de commercialisation en Asie, le leader du marché DJI vient ainsi de lancer son nouveau drone agricole, le Agras MG-1S. Doté des dernières technologies de stabilisation et d’une cuve de quinze litres, il permet un travail entièrement autonome avec une précision centimétrique, et peut couvrir un hectare en dix minutes. À l’occasion d’une démonstration en Suisse, nous avons pu l’observer au travail. Bien que les vignes aient déjà perdu leurs feuilles, nous avons apprécié la qualité de la pulvérisation à l’aide de plaques hydrosensibles disposées sur les rameaux, montrant des impacts fins et réguliers. Une performance qu’il sera sans doute difficile de réitérer en pleine végétation, bien que la turbulence générée par les hélices soit impressionnante. Quoi qu’il en soit, il serait possible de l’utiliser lors des premiers stades végétatifs.
Alors que la filière entière des drones est en train de se structurer dans l’Hexagone, le secteur de la pulvérisation par ces engins reste littéralement sur le carreau. À l’étranger en revanche, les réflexions vont bon train. L’Université de Californie a testé sur ses vignes le drone hélicoptère RMAX de Yamaha dès 2012, avec succès. Si bien qu’il est devenu depuis peu le premier drone de pulvérisation autorisé par les États-Unis. Récemment, l’entreprise suisse AgroFly, qui a conçu un hexacoptère similaire, développé entre autres pour la vigne, disait avoir des demandes émanant de l’Australie et de la Nouvelle-Zélande. Et de son côté, la start-up israélienne Skyx vient de lever des fonds dans le but de commercialiser un logiciel permettant à un seul opérateur de contrôler une flotte de drones d’épandage.
Les pouvoirs publics restent prudents face aux demandes de la profession
La France risque donc de prendre un retard technologique. Pire encore, des producteurs du Nouveau monde pourraient s’équiper de ce matériel de pointe et être ainsi plus rentables. Face à cela, certains professionnels tirent la sonnette d’alarme. C’est notamment le cas des crus de la vallée du Rhône et de viticulteurs Alsaciens, qui ont sollicité la FNSEA afin de faire pression sur les instances concernées. Une réunion avec ces dernières a eu lieu récemment au siège du syndicat, « mais il y a eu quelques absences remarquées parmi les invités, regrette Gille Barge. Je n’ai pas l’impression que les pouvoirs publics aient une oreille attentive. Notre seule chance dans ce dossier est d’être soutenus par d’autres filières, telles que le maraîchage et la riziculture. » De même, les sylviculteurs prônent un assouplissement des certaines règles. Il faut croire que ces voix ont été partiellement entendues, car un groupe de travail a été formé au Conseil des drones civils pour examiner, dans le cas de nouveaux drones légers et très automatisés, les conditions d’exploitations par ces filières.
Des études ne sont pas à l’ordre du jour
Les spécialistes de la pulvérisation sont plutôt dubitatifs sur l’utilisation de drones pour les traitements, notamment à cause du débit de chantier et de l’adaptation au plan de palissage vertical. Nous n’avons pas encore réalisé de travaux sur le sujet ; il faut dire que la réglementation est un frein. Je pense qu’une ouverture est possible si l’on apporte des réponses concrètes. Pour moi l’évolution se fera davantage dans le cas d’une production basée sur le biocontrôle, car le drone peut permettre une stratégie différente, avec des produits moins rémanents mais des passages plus fréquents. Se posera alors la question de la distinction entre l’épandage aérien par drone et par hélicoptère. Quoi qu’il en soit, il faudra avant tout valider les capacités techniques de ces engins en regardant le nombre d’impacts par feuille. L’expérimentation n’est pas encore à l’ordre du jour, mais sur ces questions tout va très vite, et ça pourrait devenir un enjeu pour nous dans les prochains mois ou les prochaines années.
Nous avons beaucoup d’attente vis-à-vis de cette technologie
Que ce soit à condrieu, ou chez nos voisins de côte-rôtie jusqu’à saint-péray, nous sommes tout à fait favorables à la pulvérisation par drones. Nous avons beaucoup d’attentes à ce sujet, que ce soit au niveau de l’expérimentation, ou de l’autorisation. C’est clairement un gros dossier à traiter. Depuis l’interdiction de l’épandage aérien en 2015, nous sommes revenus au traitement à dos, avec tous les inconvénients que cela implique. Nous avons grandement besoin de retrouver de la rentabilité, car le surcoût dû à la non-mécanisation revient actuellement entre 16 et 18 euros par bouteille. Le drone permettrait de réduire les coûts mais aussi la pénibilité, et de gagner en sécurité. Car on se heurte également à des difficultés pour trouver du personnel. L’épandage par drone pourrait être une solution technique satisfaisante, nous ne comprenons pas pourquoi les instances bloquent encore le dossier.