Saumon : vrai danger ou coup de bluff?
Jeudi dernier, le très réputé magazine Science rapportait une étude sur la présence de polluants chez le saumon. Menée par sept scientifiques américains et canadiens, elle reposait sur l’étude de filets issus de 700 poissons sauvages et d’élevage. Les conclusions tirées de cette étude ont eu un impact certain, en révélant les risques sanitaires d’une consommation trop importante de saumon d’élevage en provenance d’Europe. Elles recommandent notamment, pour les consommateurs de ce continent, de réduire leur consommation de saumon d’élevage à un maximum d’un repas par mois. Une recommandation qui va à l’encontre de la bonne image du poisson, aliment réputé bon pour la santé.
Une levée de boucliers en Europe
Mais dès le lendemain de la publication de l’article, plusieurs pays parmi lesquels les gros producteurs de saumon d’élevage ont riposté par le biais de leurs agences alimentaires. Loin de conforter les résultats obtenus par les chercheurs d’outre-Atlantique, les commentaires sont unanimes sur la non-dangerosité du saumon d’élevage.
Pour la Norvège (1er producteur mondial avec 485 000 t, à égalité avec le Chili), les conclusions parues dans Science ne tiennent pas. Les polluants de type PCB, dioxine et dieldrine, mis en cause par l’étude, ont une teneur « bien inférieure aux limites fixées au niveau international, par l’OMS ou l’UE» selon Oyvind Lie, directeur de l’Institut national de recherche sur l’alimentation à base de produits marins. Même son de cloche pour la FSA, équivalent britannique de l’AFSSA. La Food Standard Agency considère l’étude « erronée » puisque le procédé utilisé par l’Agence américaine de Protection de l’Environnement « n’est pas reconnu par les organisations internationales chargées de la sécurité alimentaire».
La FSA déplore que les auteurs de l’étude aient commis une erreur dans l’application d’un modèle de risques « déjà suspect», tout en omettant de prendre en compte les aspects bénéfiques du poisson sur le plan nutritionnel. Un point également signalé par l’AFSSA, qui conclut à « la non nécessité de revenir sur ses évaluations et recommandations antérieures au seul vu de cette étude». L’Agence profite même de cette opportunité pour insister sur les bienfaits de la consommation de poisson « au moins deux fois par semaine, en alternant les espèces (grasses et non grasses), afin de bénéficier des effets protecteurs des acides oméga-3». Jointe hier par téléphone, l’Agence Française de Sécurité Sanitaire des Aliments nous indiquait que les résultats publiés dans Science étaient totalement cohérents avec ceux des plans de surveillance menés par le ministère de l’Agriculture, chiffres eux-mêmes situés en dessous de la teneur maximale européenne.
Aucun danger donc pour les Français, qui consomment environ 2 kilos de saumon par personne et par an (première espèce avec 15% des parts de marché, devant le cabillaud, le lieu et la sole).
Des résultats qui n’apportent rien de neuf
Les auteurs de l’étude ont alors peut-être cru se trouver un allié en la personne de Per Ola Darnerud, toxicologue à l’autorité suédoise de l’alimentation. M. Darnerud ne niait pas que « le saumon d’élevage présente des niveaux de toxicité plus élevés que le sauvage», comme il le déclarait vendredi. Mais il ne cautionnait pas pour autant les conclusions américano-canadiennes, en ajoutant que « ces résultats étaient déjà bien connus et sont en deçà des seuils admis. Cette étude ne nous apprend rien de nouveau, et nous ne voyons donc aucune raison de mettre les consommateurs en garde».
Dans ce qui ressemble à un conflit Europe-Amérique, on peut même trouver une pointe d’ironie dans la décision de la FDA (Food and Drug Administration). L’organisme américain chargé du contrôle des produits alimentaires juge en effet « qu’il n’y a pas de raison de s’inquiéter sur les risques cancérigènes du saumon d’élevage ». Un coup dur pour les auteurs de l’étude, puisque la FDA va même plus loin en déclarant par la voix d’un responsable « souhaiter que les gens mangent plus de saumon». Si cette étude semble donc infondée quand à ses conclusions, restent à connaître les raisons de la publication, qui tombe à point nommé, au moment où les Américains, premiers pêcheurs de saumon sauvage au monde, tentent de pénétrer le marché européen.
Le jeu en vaut sûrement la chandelle, avec une progression annuelle de 15% en moyenne, et ce depuis 10 ans. Dans ces conditions, les recommandations publiées dans Science prennent une autre signification, puisqu’elles demandent notamment que la mention « saumon d’élevage » apparaisse sur l’emballage du produit, ainsi que le pays d’origine du poisson. Une demande orientée en faveur du poisson sauvage, et donc une manière comme une autre de promouvoir le saumon américain. À ce sujet, l’AFSSA n’a pas désiré nous faire de commentaires. Mais les remous qui ont suivi la publication de l’ étude n’ont pas été perdus pour tout le monde, dans une période ou l’argument santé prend de plus en plus d’importance. En somme, un vaste coup de pub sur fond de bataille d’experts.