L’Autorité de la concurrence se penche sur les pratiques de la grande distribution
L’Autorité de la concurrence a rendu, le 7 décembre 2010, deux avis remarqués par les opérateurs. L’un d’entre eux, qui retient ici notre attention, concerne les contrats de management catégoriel entre les opérateurs de la grande distribution à dominante alimentaire et certains de leurs fournisseurs.
Rédaction Réussir
Le management catégoriel, qui remonte au début des années 2000, consiste, pour la grande distribution, à établir une collaboration plus ou moins étroite avec un fournisseur qui sera le plus souvent leader dans sa catégorie de produits, pour permettre à la distribution de mieux s’adapter aux évolutions de la demande et de l’offre et d’encourager ainsi la croissance de l’ensemble de la catégorie de produits.
Tel fournisseur va donc être investi « capitaine de catégorie » et aura un regard sur la gestion d’un rayon tout entier dont il peut n’être fournisseur que pour une partie (le café, par exemple, dans le rayon petit-déjeuner).
En principe, le capitaine de catégorie n’a qu’un rôle consultatif sans aucun pouvoir de décision.
Or l’avis de l’Autorité de la concurrence (n° 10 A 25) établit que dans certains cas, une collaboration privilégiée peut s’instaurer, souvent à la demande du distributeur, avec un fournisseur qui assiste alors à des réunions, suit l’évolution de la catégorie de façon plus régulière et détaillée. Cette situation peut donner lieu à des échanges spécifiques de données, permettant au fournisseur de suivre l’évolution de toute la catégorie en revente chez le distributeur.
L’avis isole donc un certain nombre de risques tout en admettant que si le capitaine de catégorie recommande de favoriser les produits de son entreprise, le distributeur peut toujours se départir de cet avis. Mais tout risque n’est pas pour autant évacué, et l’avis stigmatise ainsi l’éviction de concurrents des linéaires du distributeur partenaire ou la facilitation d’une pratique concertée notamment entre distributeurs.
Atténuer les risques d’effets anticoncurrentiels
L’Autorité de la concurrence estime que les dispositions du code de commerce relatives aux abus de position dominante ou aux ententes horizontales sont de nature à appréhender ces travers. Mais elle formule toutefois trois recommandations : d’une part, elle regrette l’opacité qui entoure la désignation puis l’action du capitaine de catégorie et recommande que la grande distribution soit tenue de formuler une sorte d’appel à candidature décrivant les moyens mis en œuvre, de façon à permettre aux concurrents d’apprécier les effets de cette désignation sur leur présence dans les linéaires du distributeur partenaire ; elle propose ensuite de formaliser la relation entre capitaine de catégorie et distributeur partenaire de façon à définir précisément les tâches incombant à chacun ; enfin, l’avis recommande la mise en œuvre d’une veille de cette technique dans le futur afin d’analyser dans quelle mesure des recommandations plus strictes, voir des dispositions législatives, devraient éventuellement être énoncées pour atténuer les risques d’effets anticoncurrentiels de ces collaborations si celles-ci venaient à couvrir des parts de marché importantes dans un nombre élevé de catégorie de produits.
L’avis suggère que cette mission de veille soit confiée à la Commission d’examen des pratiques commerciales, qui pourrait ainsi formuler des recommandations et favoriser l’émergence d’un code de bonnes pratiques en la matière.
En somme, il semble avoir été bien compris que ce qui peut n’être apparemment pour la grande distribution qu’un meilleur ancrage sur le terrain et vis-à-vis de la clientèle peut se transformer en une redoutable machine à discriminer dès lors que le fournisseur partenaire disposera d’un peu de pouvoir et, de plus, des données chiffrées concernant ses concurrents. Montesquieu n’avait-il pas dit que celui qui a du pouvoir est porté à en abuser ?