La loi Hamon et ses sanctions administratives
L'adoption par la loi Hamon, en matière de relations commerciales, de sanctions administratives lourdes sur le modèle de ce qui avait été fait pour la loi de Modernisation agricole sur la contractualisation, vise une meilleure application de la loi et un désengorgement des tribunaux. Mais la garantie des droits des opérateurs s'en trouve affaiblie.
Pour rappel, il est prévu que sera sanctionné d'une amende administrative – pouvant aller jusqu'à 75000 euros (ou 375000 euros s'il s'agit d'une personne moral) – le fait pour un acheteur de bénéficier d'avoir ou de ne pas joindre de bon de commande à une marchandise (l'application des mêmes sanctions en matière de délais de paiement ou de pénalités a été annulée, car le législateur avait laissé coexister deux sanctions distinctes pour les mêmes faits).
Que le Conseil ait considéré que ces sanctions n'étaient pas disproportionnées laissera plus d'un lecteur songeur. Mais qu'il n'ait rien trouvé à redire à ce qu'elles soient entièrement aux mains de l'administration interpelle.
Séparation des pouvoirsLe fait qu'une autorité administrative puisse prononcer des sanctions a déjà été admis par le Conseil constitutionnel, notamment dans une décision du 17 janvier 1989 (no 88-248 DC). S'agissant des autorités administratives indépendantes (Autorité de la concurrence, Autorité des marchés financiers, Haute Autorité de l'audiovisuel, etc.), le Conseil constitutionnel considère que le principe de séparation des pouvoirs est respecté, comme il l'a encore décidé récemment (décision no 2013-331 QPC du 5 juillet 2013, Société Numéricable SAS et autres).
Tel n'est pourtant pas le cas de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), administration appartenant au Ministère de l'Économie et strictement hiérarchisée. Pourtant, franchissant un pas supplémentaire dans sa décision du 17 mars 2014, le Conseil constitutionnel a considéré que la DGCCRF était tenue de suivre une procédure respectant les droits de la défense et le droit à procès équitable, et qu'un recours devant le juge administratif permettait de contester la sanction, de sorte que tout risque d'inconstitutionnalité était écarté, sans qu'il soit besoin d'examiner le degré d'indépendance de l'autorité administrative concernée.
Recours possibleOr, on peut légitimement s'interroger sur le respect des droits de la défense et du droit à un procès équitable lorsque c'est la même administration qui constate l'infraction, décide les poursuites et prononce la sanction : tel est ici le cas, alors que même en matière judiciaire la séparation des autorités de constatation, de poursuite et de sanction doit être respectée.
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Traditionnellement, c'est le juge judiciaire, garant des libertés publiques, qui est compétent : il apprécie les faits, vérifie la régularité des poursuites et personnalise la sanction qu'il prononce. Compte tenu des montants que peuvent atteindre les amendes administratives concernées, un recours sérieux doit être organisé, et le juge judiciaire est habitué à traiter des infractions économiques telles que celles visées par la loi Hamon.
Un recours pourra être exercé, mais devant le juge administratif seulement, dont le contrôle est plus limité, et portera essentiellement sur la légalité de la décision. Sa compétence limitée par rapport à celle du juge judiciaire ne va-t-elle pas à l'encontre du droit à un recours effectif garanti par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ?
Il est plus que probable que la Cour européenne des droits de l'homme aura un jour à se prononcer sur la conformité à cette Convention du dispositif auquel a ainsi de plus en plus recours le législateur français en matière économique et que le Conseil constitutionnel a validé. Encore faudra-t-il que les opérateurs poursuivis invoquent la Convention devant les juridictions administratives et soient particulièrement tenaces !