Interprofessions : Quelle mesure pour la représentativité ?
La future organisation commune du marché (OCM), on le sait, régira l’ensemble des organisations interprofessionnelles agricoles. Son article 110 soumet la possibilité d’extension des règles à une condition de représentativité de la production, du commerce ou de la transformation. Le seuil est fixé aux deux tiers du volume de la production, du commerce ou de la transformation du ou des produits concernés. Un tel seuil est pratiquement impossible à déterminer pour la plupart des filières : contrairement aux organisations de producteurs, ce ne sont pas des opérateurs qui constituent les interprofessions en France, mais des organisations professionnelles qui ne connaissent pas elles-mêmes le volume d’activité de leurs adhérents pour le produit dont elles ont la charge. C’est pourquoi la France a obtenu, dans le cours de la négociation de l’OCM, qu’un État membre qui se heurterait à des difficultés pratiques pour mesurer les volumes puisse déterminer des règles nationales de détermination de la représentativité.
Absence préoccupante de réalisme
Tel est l’objet de l’article 8-I-2° du projet de loi d’Avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt qui prévoit deux dispositions subsidiaires, dans un mécanisme à tiroirs : — S’il n’est pas possible d’évaluer quelle proportion en volume de la production, de la transformation, du commerce ou de la distribution représente l’organisation, celle-ci sera considérée comme représentative si elle représente, pour ces secteurs d’activité, deux tiers des opérateurs ou du chiffre d’affaires de l’activité économique considérée. — Pour la production (et pour la production seulement), les conditions seront présumées respectées lorsque des organisations syndicales d’exploitants agricoles représentant au moins 80 % des voix aux chambres d’agriculture participent à l’interprofession.
Nul doute que ce projet fera l’objet d’une bataille d’amendements à l’occasion des débats parlementaires. Il péche en effet par une absence préoccupante de réalisme. S’agissant tout d’abord de l’aval — transformation, commercialisation et distribution, ce dernier « stade » étant distingué de la commercialisation ce qui n’est pas prévu par l’OCM —, le projet ne résout pas grand-chose. La mesure des chiffres d’affaires n’est guère plus aisée que celle des volumes, et le calcul en nombre d’opérateurs ne permet pas de tenir compte du poids relatif de chacun d’eux. Vérifier ces mesures à chaque demande d’extension relèvera de l’exploit ! Surtout, là où l’OCM permet plus de souplesse, le projet maintient le seuil des deux tiers alors que, s’agissant d’organisations professionnelles dans un contexte français de faible syndicalisation, on sait qu’une telle barre sera très difficile à atteindre.
Droit de vie ou de mort des organisations minoritaires
S’agissant de la production, le gouvernement a recherché un dispositif qui permette d’intégrer au sein des interprofessions les organisations minoritaires. En le faisant de la sorte, il confère à ces dernières un droit de vie ou de mort sur l’organisation des filières. Au vu des résultats des élections professionnelles, il suffira à l’une d’entre elles de refuser de rejoindre l’interprofession ou de la quitter pour empêcher toute extension.
Le débat sera donc serré, et les enjeux sont importants : le système français de représentation syndicale, qu’il soit ouvrier, patronal ou professionnel, caractérisé par un taux de syndicalisation très faible, fait preuve de ses limites. Il a fait l’objet d’un rapport récent (octobre 2013) tendant à le réformer dans le cadre de la législation du travail, dont il pourrait être intéressant de s’inspirer pour les interprofessions. Les représentants des interprofessions et les parlementaires vont devoir faire preuve de créativité et remettre l’économie au cœur de la réflexion. Faire des interprofessions le terrain des rivalités syndicales pourrait les empêcher rapidement de fonctionner, du moins en l’état actuel du projet.