Quand la finance investit l’agriculture
Les spéculateurs s’intéressent de plus en plus aux marchés européens
Pour un certain nombre d’acteurs du monde agricole, les financiers ou les fonds d’investissements semblent gouverner l’humeur des cours des céréales, qui varient bien plus vite et bien plus fortement qu’avant. Si la présence de ces nouveaux spéculateurs est indéniable, « ce sont encore et toujours les professionnels qui font la hausse », insiste Jean-Loïc Bégué-Thuron chez Sygma Terme. D’avis d’experts, l’action des fonds ne porterait pour le moment que sur 5 % des volumes traités sur le marché à terme européen, Euronext. En tout cas, l’apparition de ces
financiers dans leur “fief” inquiète les professionnels. Leurs objectifs et leurs tactiques sont très différentes de celles mises en oeuvre par des opérateurs qui souhaitent souvent couvrir un risque sur le marché physique. Aujourd’hui, deux types de spéculateurs sont présents sur les marchés européens des matières premières agricoles : les gestionnaires “passifs”, opposés à ceux dits “actifs”.
Une gestion sage des portefeuilles
Les premiers ont pour objectif de gérer avec une certaine sagesse les portefeuilles de leurs clients. Ils travaillent uniquement sur le marché à terme, et pas sur les options. Ils proposent à leurs clients des “indices”, appelés également “paniers”, alliant plusieurs produits (céréales et métaux, par exemple). Le financier fait “rouler” les contrats : il les revend avant échéance pour éviter d’être livré, puis il réinvestit la somme dans de nouveaux contrats et ainsi de suite. à chaque opération, son objectif est, si possible, d’encaisser une plus-value. La proportion du portefeuille investie dans les différents marchés de matières premières que regroupe l’indice est en général stable. Ce qui donne lieu à des réajustements réguliers : les gains peuvent être plus importants en blé qu’en cuivre, par exemple. Ce qui explique aussi les mouvements parfois surprenants que subissent les marchés américains, notamment.
Indices pour le grand public
Basée en Suisse, Diapason Commodities est l’une des premières sociétés financières en Europe à s’être spécialisée sur les matières premières. Elle gère aujourd’hui une enveloppe de 8 Md$, en direct ou via des fonds d’investissements. Le système fonctionne particulièrement bien quand les prix sont haussiers, comme en ce moment. Et à la différence d’un panier d’actions, ces indices sont protégés de l’inflation : car lorsque celle-ci augmente, le prix des matières premières progresse également. Les banques s’intéressent de plus en plus à ce type de produits, qu’elles ouvrent au grand public. ABN Amro propose par exemple un panier “petit-déjeuner” à ses clients, qui comprend du jus d’orange et des céréales.
De la liquidité en plus
Le second type de spéculateurs, les gestionnaires “actifs”, est très différent de ces financiers qui travaillent pour ainsi dire en père de famille. Ces spécialistes s’intéressent essentiellement au marché des options, plus technique. Schématiquement, ils achètent et ils vendent en permanence. Ce qui crée des perturbations dont ils se servent pour faire du profit. Des logiciels mathématiques ont même été fabriqués pour générer des signaux de ventes et d’achats indépendants du contexte de marché.
Pour l’essentiel, ces spéculateurs sont des professionnels aguerris embauchés spécifiquement par les banques, souvent basés à Londres, haut lieu de la finance.
Pour l’instant, les professionnels du monde agricole jugent perturbants ces nouveaux acteurs. Pourtant, ce sont eux qui devraient rendre efficace le marché à terme. En amenant de l’argent, ils permettent aux opérateurs du monde agricole de trouver facilement une contrepartie aux contrats souscrits.