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Mercosur : « L’accord de libre-échange pourrait s’appliquer de manière provisoire »

À quelques jours du Sommet du Mercosur, Baptiste Buczinski, agroéconomiste à l’Institut de l’élevage, décrypte les enjeux de l’accord de libre-échange avec le Mercosur pour la filière bovins viande, et ce que l’on peut attendre des différentes modalités de ratification envisagées.

Quels sont les contingents de viande bovine en jeu dans l’accord entre l’UE et le Mercosur ?

L’accord de libre-échange entre l’Union Européenne (UE) et le Mercosur prévoit un contingent de 99 000 tonnes équivalent carcasse (tec) de viande bovine (dont 45 % de congelé et 55 % de réfrigéré), à droit de douane réduit (7,5 % au lieu d’environ 13 % + 3 €/kg, soit environ 40 à 45 %) en provenance du Brésil, de l’Argentine, du Paraguay et de l’Uruguay. Il supprimera également le droit de douane du contingent Hilton (actuellement à 20 %), déjà en place, qui comprend environ 44 000 tonnes de viande bovine, soit autour de 57 000 tec. Le Mercosur est déjà le premier fournisseur de viande bovine de l’UE : il représente 58 % des importations communautaires.

Pourquoi l’accord avec le Mercosur inquiète-t-il particulièrement la filière bovine ?

L’ouverture du marché européen à 99 000 tec de viande bovine peut sembler avoir un impact limité au regard de la production européenne, qui avoisine les 6,5 millions de tec. Cependant, ces importations sont concentrées sur l’aloyau, dont l’UE produit autour de 1,1 million de tec. L’accord avoir le Mercosur pourrait donc impacter assez fortement ce segment de haute qualité, sur lequel les pays du Mercosur sont déjà compétitifs dans un contexte de pleine application des droits de douane : en janvier 2022, le faux-filet brésilien commercialisé sur le marché européen hors contingent Hilton était vendu 12 €/kg, tandis que le même morceau en provenance d’Allemagne valait 21 €/kg. Cela inquiète d’autant plus la filière bovine que l’aloyau est un élément déterminant de la formation du prix payé aux éleveurs. Augmenter les importations de viande d’aloyau du Mercosur pourrait donc fortement impacter le revenu des éleveurs européens.

À lire aussi |  Le retour en force des accords de libre-échange met sous pression la filière bovin viande

D’autant que cette compétitivité s’explique en partie par une distorsion de la concurrence qui résulte de réglementations moins contraignantes que celles de l’UE, notamment en termes de traçabilité, d’utilisation de produits phytosanitaires ou traitements antibiotiques comme activateurs de croissance. Aussi, les coûts de production de viande bovine au Mercosur sont inférieurs de 40 % à ceux de l’UE (et même 60 % au Brésil), selon les données issues d’agri benchmark. Si l’UE contrôle l’absence de résidus dans les produits importés, l’accord avec le Mercosur ne prévoit pas de clause miroir sur les moyens de production.

Lire aussi | Accords de libre-échange : les avancées concrètes se font attendre sur la réciprocité des normes

L’accord pourrait-il être signé au Sommet du Mercosur qui se tiendra du 5 au 7 décembre 2024 ?

L’accord politique signé en juin 2019 a d’ores et déjà fixé les contingents. Depuis les négociations continuent pour inclure un document relatif à la protection de l’environnement, qui ne faisait pas partie de l’accord initial, ainsi que sur les modalités techniques de gestion des contingents. Ce sont ces points qui seront discutés par les négociateurs européens et sud-américains lors du Sommet du Mercosur, qui se tiendra en Uruguay du 5 au 7 décembre 2024. Certains observateurs évoquent une conclusion avant la fin de l’année, possiblement au moment de ce sommet. En cas de signature, il restera à savoir quel sera le processus de ratification à suivre.

En cas d’accord, comment celui-ci sera-t-il ratifié ?

L’accord entre l’UE et le Mercosur est un accord dit « mixte », c’est-à-dire qu’il comprend à la fois un volet commercial (accord de libre-échange), pour lequel l’UE est compétente, et d’autres sujets de coopération internationale pour lesquels la compétence est partagée entre l’UE et ses États membre. Théoriquement, la ratification un tel accord ne peut être adopté que si tous les États membres de l’UE l’approuvent en réunion du Conseil, à l’unanimité. Cependant, l’UE pourrait contourner l’obstacle de l’unanimité en scindant l’accord en deux, comme elle l’a fait pour le Chili. Son volet commercial ferait alors l’objet d’un accord de libre-échange intérimaire.

L’accord entier ou découpé doit ensuite être validé par majorité qualifiée au Parlement européen. Suite à cette étape, l’accord « mixte » ou a minima son volet non-commercial doit être adopté par l’ensemble des États membres. En France, c’est au parlement que revient cette responsabilité.

Une application provisoire de l’accord de libre-échange

Dans le cas d’un accord scindé, le volet commercial validé par le conseil européen s’applique de manière provisoire. La ratification du volet non-commercial pérennisera l’accord de libre-échange. À l’inverse, si la ratification du second volet échoue, l’accord commercial intérimaire cessera de s’appliquer.

La France peut-elle faire veto contre la ratification de l’accord ?

La France ne peut utiliser son veto qu’en cas de ratification de l’accord dans son ensemble. En cas de scission du traité, elle devra mobiliser d’autres États membres pour obtenir une minorité de blocage au sein du conseil. Quelle que soit la formule, il faudrait également une minorité de blocage au Parlement européen. À ce jour, l’Autriche, les Pays Bas et la Pologne ont affirmé s’opposer à la ratification de l’accord, tandis que d’autres pays comme l’Allemagne, l’Espagne et le Portugal y sont favorables. Les prochaines semaines seront déterminantes.

Pourquoi l’Assemblée nationale a-t-elle tenu un vote le 26 novembre sur l’accord avec le Mercosur ?

Le vote de l’Assemblée nationale, qui a rejeté la ratification de l’accord le mardi 26 novembre 2024, est avant tout symbolique, puisque à l’heure actuelle les décisions sont prises au niveau de l’UE. Cependant, il marque l’opposition forte de la France au traité, et pourrait appuyer son argumentaire à Bruxelles contre la scission de l’accord.

Le Sénat rejette à son tour l'accord avec le Mercosur

Après le rejet de l'accord par l'Assemblée nationale, le Sénat a lui aussi validé, le mercredi 27 novembre, la résolution s’opposant au projet d’accord de libre-échange entre l’UE et le Mercosur, verrouillant ainsi la position de la France d’un rejet en l’état, rapportent nos confrères d'Agra. « Ce que nous souhaitons à travers ce débat, c’est entériner solennellement la position de la France et lui offrir une assise transpartisane forte, pour que sa voix puisse résonner dans toute l’Europe », a ainsi déclaré la ministre de l’Agriculture Annie Genevard en ouverture des discussions tout en tentant de rassurer les partenaires sud-américains sur les intentions françaises. En réponse, le président brésilien Luis Inacio Lula da Silva affirme sa volonté de conclure vingt-deux ans de négociations avec l'UE par une signature d'ici la fin de l'année. Et rappelle que la décision n'est pas aux mains des instances françaises : « c'est la Commission européenne et Ursula von der Leyen qui décident ».

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