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Réchauffement climatique : les solutions des vignerons sardes

Face à la hausse des températures, les viticulteurs sardes s’adaptent, entre modification du matériel végétal et changements culturaux. Rencontres dans les vignes du sud de la Sardaigne, à seulement 200 km de l’Afrique.

Le domaine Argiolas travaille sur le matériel végétal afin de mieux s'adapter au changement climatique.
Le domaine Argiolas travaille sur le matériel végétal afin de mieux s'adapter au changement climatique.
© P. Bourgault

Près de Cagliari, au sud de la Sardaigne, Valentina Argiolas possède un domaine de 250 hectares. Avec son agronome Francesco Deledda, elle s’interroge sur le choix des porte-greffes : « Nous avons de nombreux cépages locaux, mais au niveau des porte-greffes, jusqu’à présent, la Sardaigne utilisait surtout le 1103 Paulsen, vigoureux et assez résistant à la sécheresse. Aujourd’hui, le réchauffement nous fait choisir le 110 Richter, moins vigoureux mais plus efficace dans sa gestion de l’eau. Nous testons aussi les nouveaux porte-greffes de la série M (Università di Milano) qui semblent plus performants. » Selon Valentina Argiolas, la greffe elle-même nuit au flux de la sève. Dans une parcelle de sable, peu sensible au phylloxéra, elle a donc planté 2,5 hectares de carignan non greffé, qui gère mieux l’alimentation hydrique.

Une dizaine de kilomètres plus loin, à Settimo San Pietro, Ferruccio Deiana, 78 ans, dirige toujours ses 130 hectares de vigne. Cette année, il déplore 50 % de pertes après la canicule en juillet et août, mais aussi à cause des pluies diluviennes fin mai, responsables d’un mildiou difficile à traiter – autre forme des perturbations climatiques –. Il produira néanmoins ses 400 000 bouteilles annuelles, voire davantage car il ne vinifie pas tout le raisin qu’il récolte : « J’en vends une partie et je garde le meilleur ». Cela lui permet de s’adapter au millésime.

 

 
Ferruccio Deiana atténue l'impact du changement climatique en jouant sur le volume vendu au négoce, les dates de vendange ou encore des tailles tardives.
Ferruccio Deiana atténue l'impact du changement climatique en jouant sur le volume vendu au négoce, les dates de vendange ou encore des tailles tardives. © P. Bourgault

Il constate par ailleurs une maturité et une vendange accélérées sur un mois – du 21 août au 22 septembre 2023 – au lieu de deux. Pour s’adapter à cette contrainte de temps, les machines à vendanger tournent à plein régime, les chauffeurs travaillent davantage. Et certaines cuvées sont vinifiées en vin doux, qui se vend très bien en Sardaigne et en Allemagne. Ferrucio Deiana a choisi des porte-greffes atypiques pour la Sardaigne : « du Berlandieri pour le nombre de racines et du rupestris pour la résistance à la sécheresse, l’enracinement en profondeur et l’ancrage dans les roches ».

De même, la densité évolue : les vignerons plantaient à 6 000 pieds par hectare ; pour limiter la concurrence entre les vignes, ils la limitent désormais à 4 000 ou 5 000 pieds par hectare.

Les cépages locaux, cannonau et nuragus en tête, sont plebiscités

Les vignerons rendent un hommage unanime à leurs cépages locaux. Selon Valentina Argiolas, « cannonau et carignano sont anisohydriques – la plante bloque certains processus biologiques en cas de stress thermique – ; ces variétés ont moins d’évapotranspiration. En blanc, c’est le nuragus qui tolère le mieux chaleur et sécheresse ».

Cantine di Dolianova, la coopérative voisine, rassemble 300 familles qui exploitent 1 200 hectares. Andrea Deiana, responsable de production, déplore 30 % de pertes en 2023. « Nos cépages sardes, en particulier le cannonau et le nuragus, résistent pourtant mieux que les internationaux à la sécheresse et à la chaleur. Ils ont eu le temps de s’adapter aux conditions climatiques locales, en développant des stratégies d’autodéfense. Mais cette année, en plus, les pluies du printemps et le mildiou ont été redoutables. »

À 2 km de Dolianova, la jeune vigneronne Nicoletta Pala a repris avec son frère les 52 hectares du domaine familial Audarya et produit 400 000 bouteilles par an. Elle confirme la bonne résistance à la sécheresse du cannonau, « car ses petites feuilles ont une évapotranspiration limitée, ce qui permet de conserver davantage d’eau à l’intérieur de la plante ».

Des rouges faciles à boire en lieu et place du blanc

Il n’y a pas si longtemps, l’élimination des variétés locales était subventionnée ; aujourd’hui, l’université de Sardaigne lance des programmes de sauvegarde des cépages patrimoniaux et les appellations d’origine les mettent en avant, telles les DOC nuragus di cagliari et cannonau di sardegna. La Cantine di Dolianova va-t-elle arracher le chardonnay utilisé pour son spumante brut, et le sauvignon ? « Non, nous les gardons pour les assemblages, mais nous allons changer les méthodes agronomiques et retrouver les vieilles traditions, par exemple laisser davantage de feuilles pour couvrir les grappes. » Et avancer la date de la vendange en juillet : « La loi interdit de vendanger avant le 1er août, mais la loi doit évoluer ! » La réflexion se poursuit à la cave : « on choisit des levures à bas rendement alcoolique ».

Les vins blancs frais étant plus difficiles à produire sous de fortes chaleurs, la Sardaigne joue la carte des rouges souples faciles à boire, et mise ainsi sur le cépage monica, peu tannique, qui s’accorde volontiers avec poissons et fruits de mer.

Entre tailles tardives et couverts végétaux

D’autres solutions sont envisagées par Ferrucio Deiana telle une taille tardive qui ralentit le démarrage de la vigne au printemps et l’accumulation du sucre dans le raisin. Les cépages nuragus et monica, les derniers à débourrer, sont bien sûr taillés en dernier. Chez Argiolas, la taille favorise les ceps et les branches épaisses, « car les plantes qui durent sont celles qui ont de la structure ». À ce titre, Argiolas suit les conseils des experts en taille Simonit & Sirch comme c’est le cas pour nombre de viticulteurs français. Par chance, chez Argiolas, la proximité de la côte régule le climat et le mistral balaie l’humidité. En cas de sécheresse, l’irrigation de secours est activée.

Pour garder l’humidité, Argiolas laboure un interrang sur deux, l’autre étant en enherbement naturel, fauché. Cantine di Dolianova confirme cette pratique de couverts végétaux, qui permet de préserver la matière organique du sol et d’éviter le ravinement en cas de fortes pluies. Quant à Nicoletta Palla, elle pratique : « un travail du sol minimal ».

Piero Cella est vigneron (Quarto Moro), mais surtout œnologue pour de nombreux domaines en Sardaigne. Il fut l’élève de Giacomo Tachis, créateur des super-toscans, et se veut rassurant : « Malgré le changement climatique, il y a des terroirs de sable granitique où le cannonau a gardé une acidité élevée (pH de 3,20). Et même des endroits, dans le nord de la Sardaigne, sur des calcaires terrarossa, qui ont décidé de renoncer à l’irrigation – la plante reprend son processus naturel –. Sur notre île, le vent et les cépages traditionnels peuvent résister, du moins pour un certain temps, aux excès climatiques. Nuragus, monica, bovale, vernaccia ont produit ces dernières années des raisins sans déséquilibres excessifs ; nous avons anticipé le moment des vendanges, pour ne pas perdre en acidité. »

L’œnotourisme, pour lisser financièrement l’impact des aléas climatiques

Pour résister aux aléas climatiques, un revenu complémentaire est bienvenu dans les petits domaines familiaux. La ferme S’Isca Manna, à 20 km de Cagliari, cultive 10 hectares de vigne, dont le raisin est récolté à la machine par la coopérative Dolianova. « La récolte 2023 est moitié moindre qu’en 2022 », regrette Ettore Pinna. Heureusement, Elisa, sa fille, cuisine depuis dix ans les produits de la ferme : salami et pancetta, gnocchis sauce tomate et saucisse, porcelet rôti, poires aromatisées au cannonau, pâtisseries sardes aux fruits du jardin… Des repas sur réservation appréciés par les trekkings, mariages et divers groupes qui apportent un revenu complémentaire non négligeable au domaine.

Pour ceux qui vinifient, l’œnotourisme est un revenu supplémentaire mais aussi une vitrine. Ainsi, Nicoletta Palla reçoit près de 8 000 visiteurs par an, surtout des groupes allemands et anglais, pressés, « pour un tour de cave et une dégustation en une heure ! » Cette visibilité internationale est importante car Audarya exporte 35 % de ses vins, surtout vers l’Allemagne. Elle envisage de créer des hébergements « en forme de barrique » pour un accueil plus personnalisé.

C’est pourquoi le programme Tasty, « Wine & food experience in Sardinia » réunit agriculture et hospitalité. L’objectif est de proposer une approche globale tenant compte du paysage historique et naturel, afin que les visiteurs ne restent pas seulement une heure pour une dégustation, mais deux ou trois jours.

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